Depuis quelques jours , je revisite des peurs et incapacités de mon enfance - peurs que je croyais à jamais dépassées depuis trente ans ... Le prétexte ? j'ai plus ou moins décidé de refaire une exposition cet été . Mais la situation n'est plus la même qu'il y a quinze ans . Et voilà ... les vieilles injonctions et verdicts , les vieux freins et mépris parentaux ... qui ressurgissent comme d'horribles ronces empoisonnées qui m'entourent et me ligotent , utilisant pour s'accrocher des éléments " objectifs" . Me voilà apeurée comme à quinze ans ... ou encore , comme à ma toute première exposition , je me souviens que j'avais peur qu'on ne me chasse à coups de pieds de la salle d'expo ( j'avais gagné un prix d'aquarelle ; le prix était la possibilité d'exposer , dans une salle d'un grand hôtel de Marseille ) . Ou encore , quand j'avais cinq ans - je me souviens que l'institutrice avait été étonnée parce que , pour l'attendre , je m'étais cachée sous son bureau . De quoi j'avais peur ? Je ne sais pas . Il me semble que ma maman était plutôt sympa avec moi , quand j'avais cet âge là . Qui , dans la famille , m'avait rendue tellement apeurée ? Je me demande quelquefois si ça n'était pas ma marraine chérie ... qui m'aimait , certes , mais pouvait également apprécier d'exercer un pouvoir , elle qui avait une conscience suraiguë d'appartenir au prolétariat ; jouissant de manipuler et éventuellement de terroriser la gamine de bourgeois que j'étais . Puis de me rassurer . Moi ... qui étais là , alors que son bébé à elle n'avait eu le droit de vivre .
Paix à son âme ; je sais à quel point elle a souffert . Mais ces vieilles assertions qui tournent ... " tu es de trop , va-t'en ! tu n'as rien à faire ici ... va -t'en , cache- toi , je ne veux pas te voir " ... C'est certainement gênant pour présenter une exposition , où , justement , il est question de faire voir ...
Je suppose que c'est comme ça que cette petite peinture s'est présentée . L'histoire serait simple , et je me la racontais intérieurement tout en dessinant . La femme s'appellerait Ann-Magriethe , comme dans un roman de Knut Hamsun ( j'ai essayé de relire Vagabonds , et j'ai renoncé à peu près au milieu , le bouquin me glissait des mains , tiré par un ennui pesant .. ) . Elle aurait épousé le tigre parce que c'était inespéré , comme le lui avait expliqué sa mère , de trouver un prétendant à son âge , et avec son manque de beauté ; et puis , avec six autres bouches à nourrir dans la famille ... Mais elle a , de ce fait , renoncé à toute autonomie et joie de vivre . Elle n'a droit qu'à se taire , et à lui cuisiner , jour après jour , des repas de viande à l'odeur ignoble ... droit de laver et repasser ses belles chemises blanches ... je passe les détails sur ses nuits . La pauvrette , elle me fait peine . Et alors , omment finit son histoire ? ... Voyons ... elle trouve le courage de fuir , par une nuit de pluie glacée , pendant que le tigre est parti pour visiter ses propriétés et récupérer les loyers et les fermages , ce qui veut dire qu'on est à la Saint-Michel ; il y a une poursuite terrifiante ensuite , comme dans La nuit du chasseur ... mais ça finit bien pour Ann-Magriethe , j'en suis sure , et elle coule ensuite des jours heureux dans une île grecque ( toutes mes histoires finissent bien ) ; le tigre meurt enlisé dans les sables mouvants ( ça c'est un emprunt à Vagabonds ) . Mais pourquoi ce tigre fortuné serait-il venu dans ce village nordique si triste , je ne sais pas . En tout cas , toutes les filles du village l'ont refusé , sauf notre héroïne ...
Bah ! Moi , si je devais être une héroïne , je serais Adèle Blanc-Sec ...