Pour illustrer ce chapitre , il faudra que je mette une photo d'un tableau de mon papa ... eh oui , papa était un peintre du Dimanche - sauf que le Dimanche il ne peignait pas , il marchait , il marchait vers les cimes sur de raides sentiers de montagne , entrainant  la famille . Il a peint après la guerre , ou pendant la guerre , je crois , en tout cas dans mes souvenirs d'enfance il ne le faisait plus . Par contre , la maison était pleine de ses tableaux ... maman m'a souvent raconté qu'il avait commencé à peindre par mesure d'économie (ce vieux fond paysan , dont j'ai hérité ) il avait acheté deux tableaux pour décorer la maison , puis il s'était dit qu'il pouvait en faire autant ... et le plus rigolo , c'est qu'il en a fait autant , très vite ; il copiait des cartes postales ,des paysages de montagne le plus souvent ,  à l'huile sur carton ou sur contreplaqué . Il faisait de la peinture au couteau , mais il avait compris ça littéralement , en tout cas il peignait avec un couteau de cuisine cassé , pas un couteau de peintre . Ses tableaux sont tout à fait honnêtes , de la bonne peinture d'amateur des années quarante , bon dessin solide , couleurs ni agressives ni pastel , bref , un bon peintre du Dimanche . Comme moi ,moi qui peins pendant la semaine et le Dimanche aussi ... Naturellement , il n'avait jamais appris , ( puisqu'il était prof de physique et chimie , après avoir été instit , ayant gravi tous les échelons de l'école du peuple )
         Et ses tableaux étaient partout sur les murs ; papa ne parlait pas , il ne parlait presque jamais , je l'ai dit , en tout cas surement pas à moi ; il s'isolait pour lire , écouter de la musique, peindre . Par contre , maman parlait , sans cesse , envahissant la moindre brèche ... je vois à quel point j'ai hérité des deux , bien que je ne sois pas quelqu'un qui parle beaucoup , quand j'invite j'ai un peu honte de mon manque de talent en tant que causeuse ,( sauf quand j'ai bu ! je suis parfaite quand j'ai bu ... )  ce que j'essaie de compenser par mes talents culinaires ; par contre mes peintures envahissent tous les murs ou presque de notre immense maison , et sur le blog je parle , je parle , je parle ...

     Mais je voulais vous parler de l'aspiration ... j'ai passé une nuit bizarre, me réveillant sans me réveiller totalement , tout en sentant une angoisse pénible me peser sur la poitrine . Pourquoi angoissée , alors que  j'ai passé hier un après-midi délicieux à jardiner ? ( après une ballade dans la colline avec la voisine , au cours de laquelle je me disais que j'aurais bien préféré me ballader seule ; mais  la voisine n'ose pas ou n'aime pas se promener seule parce qu'elle est âgée , et nous garde très gentiment Anaïs quand on s'en va quelques jours , donc je fais des  efforts ) 
           Bref , je ne voyais pas trop de raison d'être angoissée , mais vers les six heures du matin , après avoir servi deux petits déj pour deux chats affamés (  maman , n'oublie pas , je veux un câlin d'abord !-  ça c'est Rajah , le seul chat que je connaisse qui fait passer les câlins avant la bouffe ! ) je repensais à la soirée , je me demandais pourquoi je mange toujours au triple de ma faim le soir alors que je n'ai pas faim le soir , et j'essayais de retrouver la sensation que j'ai à ce moment là  . Je me suis dit , quelles soirées décevantes ,qu'est-ce que je m'ennuie le soir , je suis insatisfaite de ma vie ; je mange trois fois plus pour ne pas en prendre conscience alors ... ma vie est-elle celle que je veux ? ma vie n'est pas celle que je veux ...
   Comme je n'ai pas d'idée pour améliorer ladite vie ,dans l'instant ( tout au moins pas de chambardement avant mon départ pour l'Inde ) , je suis juste restée présente à cette sensation d'insatisfaction , située en haut de la poitrine ( tiens , c'est marrant ,comme par hasard c'est  justement une zone que Nathalie nous fait beaucoup travailler en yoga , elle nous propose souvent de rapprocher les omoplates , ce qui étire cette zone du torse ...par exemple dans la posture du chameau  )
  Et donc à six heures et demie je me suis installée sur mon coussin plié en deux , face à la porte-fenêtre et au petit citronnier , la place où je médite ( depuis que Daniella m'a dit que c'était sur un réseau sacré , je m'y sens encore mieux ! ) et j'ai fait une méditation du style " je prends le taureau par les cornes " : oui , il y a cette sensation pas trop agréable au niveau de mon sternum , j'en prends conscience , j'y adhère , je la goûte ...j'y colle tant que je peux ,  tant que j'y arrive , tant que mon esprit ne s'échappe pas .. et quand il s'échappe je le ramène doucement ...
   Et chaque fois qu'il s'en échappait , je ne sais pourquoi , je pensais à mon père , mais je pensais à lui comme avec un sentiment maternel . Et affectueux . 
  Et puis j'ai compris que le nom de la sensation , c'était ça : " l'aspiration " . Et que ces tableaux de mon père , ( je pense en particulier à un tableau qui se délitait à la cave et que j'ai récupéré , en me disant que j'allais lui passer un coup de vernis mat ,  il me manque encore un support pour le monter ) que le désir permanent qu'il avait de ballades  en montagne , ça correspondait à ce quelque chose qu'il portait en lui . L'aspiration .

  L'aspiration , c'est pas tout à fait le désir , parce que le désir ( il me semble ) est pour quelque chose de précis ( une paire de chaussures , faire une ballade à tel ou tel endroit , un livre ) ou pour quelqu'un de précis ; donc le désir serait un peu la fixation de l'aspiration sur un objet déterminé ; l'aspiration , c'est juste la sensation , donc l'essence du désir , non ? le désir , qui se fixe sans cesse sur autre chose , dès que j'ai eu acheté la paire de chaussures qui me tentaient - si vous voulez savoir ,  elles sont en nubuck roux , une splendeur - je me suis retrouvée à bader sur un pull vert anis en solde , oh qu'il est beau , tout mousseux , je l'ai acheté mais ensuite j'étais de nouveau à saliver devant une autre vitrine .... bon , mon porte-monnaie n'est pas infiniment étirable ... le désir n'a pas de fin , qu'on le satisfasse ou non . Pas de mal à le satisfaire si on peut ... 
                           mais 
                           ne pas oublier l'aspiration ...

    En tout cas , j'ai terminé la méditation pour ce matin , parce que j'en avais assez et que je ne martyrise pas mes genoux ,  et comme - vous avez du remarquer ! - je suis du genre terrien , j'ai arrêté de penser à la  nature du désir et je me suis fait un ricoré au lait et des tartines faux beurre -vraie confiture- en plus ,il pleut ... mais je n'oublie pas cette sensation en haut du sternum ... voilà où j'en suis ce matin !quelle vie passionnante !!!

  Portez vous bien , je vous souhaite une belle journée , qu'il pleuve comme ici ce matin , ou qu'il fasse beau , et plein d'amour dans vos vies !