
Bon , je n'avais pas particulièrement prévu d'aller jusque là , en choisissant , pour cette précieuse journée de temps clair , une ballade au dessus de Saint-Germain de Calberte . J'avais juste voulu trouver un chemin de promenade en m'aidant de la carte IGN n° 2740 ET , tout récemment acquise... ( j'aime bien les cartes , mais je ne suis pas une grande lectrice , bien souvent on s'est trouvé engagés dans des montées abominablement raides parce que j'avais compris tout de travers les courbes de niveau ) . Cette fois -ci j'avais tout bon , on a suivi une piste le long d'un GR , montant en pente douce pendant une bonne heure , sous les chataîgniers aux branches nues ... mais ensuite , arrivés au col de la Pierre Plantée , un panneau proposait à quelques centaines de mètres l'endroit merveilleusement dénommé " cuve bouteille " , comment résister ...

Et puis ça nous permettait de voir l'autre versant de la montagne . On a marché sur une belle piste , encore , jusqu'à s'apercevoir que cette cuve bouteille était un réservoir anti-incendie assez banal ... Mais en consultant cette fameuse carte N° 2740, étaient indiquées , toutes proches , les ruines d'une villa romaine . J'imaginais des colonnes , des mosaïques avec des scènes bucoliques ,Orphée charmant les animaux ou Actéon aux prises avec les chiens de Diane , tout en me doutant bien que c'était peu probable . Encore une petite demie-heure de marche dans la forêt ; dans la pente orientée au Nord-Ouest , il y avait plus de bouleaux et de houx , moins de chataîgniers . On est arrivés à des maisons cévenoles en ruine , parsemées dans la pente ; encore une petite descente , et on est tombés sur les vestiges de la villa romaine . J'étais touchée de rencontrer , en pensée , les gens qui ont vécu là il y a deux mille ans ; de mettre mes pas dans leurs pas , de toucher les pierres qu'ils ont touchées . ( Bien plus que dans des ruines " officielles " ; le Colisée de Rome où la maison carrée à Nïmes me laissent complétement froide ) Comment vivaient-ils , le propriétaire était-il amoureux de sa femme , ont-ils eu des enfants , des serviteurs , cultivait-il lui-même ses champs , y avait-il déjà des chataîgniers à l'époque , qu'est-ce qui l'a amené à s'installer là , dans cette pente avec la belle vue sur les montagnes ... est-ce que chaque soir et chaque matin ils étaient heureux de voir le paysage aérien à l'horizon , comme nous à cet instant là ?
On est revenus à notre point de départ par un autre chemin , crapahutant à travers un sentier nettement plus irrégulier et escarpé , pas toujours bien marqué , parce qu'il permettait de voir une sépulture néolithique . Je commençais à être fatiguée , à avoir vraiment faim , ce qui me rend toujours déprimée et grognon , et je me maudissais de n'avoir pas emporté de pique-nique ...

Au restaurant du gite d'étape la dame , pas spécialement sympathique , nous a dit qu'il était trop tard pour nous donner à manger . ( Il était trois heures et demie de l'après-midi , je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir ). Sa chienne labrador , enthousiaste et un tantinet obése comme souvent les labradors , nous a fait un bout de conduite amical et désintéressé .
Je ronchonnais en reprenant la voiture , rigolant malgré moi de mon infantilisme ; mais nous avons trouvé un havre à Saint-Germain de Calberte un peu plus bas , une aimable hôtesse nous a apporté un sublime sandwich au pain complet bio tout frais avec une gigantesque tranche de pâté , que j'ai partagé avec un autre chien amical , qui avait de beaux yeux et une frange de poils noirs et ocre qui lui retombait sur le nez ; l'odeur du pâté de campagne l'avait fait accourir depuis l'autre bout du village . Quand j'ai eu fini de manger il est parti ; je me demande maintenant s'il m'aimait pour moi-même .