Donc , après cette décision ( de m'alléger , autant que possible , du poids de l' organisation chez maman - ou plutôt de ce que je ressens de personnel , d'affectif , dans cette histoire ) j'ai , bien entendu , commencé à culpabiliser de façon abominable . Thème : si je ne fais pas tout mon possible ça va être la catastrophe , que va t'il arriver à maman , à la petite Léna , etc .... Le matin même , j'ai eu un coup de téléphone de la garde de nuit remplaçante , une femme un peu plus âgée que les autres jeunots , qui a déjà trouvé que les nuits étaient mal payées , m'expliquant que ma mère n'avait pas dormi jusqu'à deux heures cinquante trois du matin ... ( comment fait-elle pour savoir l'heure exacte ? en général , maman commence à ronfler dès le moment où elle a pris son somnifère ... ) C'est elle que maman soupçonne d'avoir piqué un billet de dix euros . C'est peut-être même pour ça qu'elle a mal dormi . Il est probable que ma mère a vérifié de travers , avec sa mauvaise vue ; ou encore , n'importe lequel des jeunes qui travaillent chez elle , a pu l'emprunter , et pas forcément cette dame , qui est d'aspect un peu sévère .
Mardi matin , je me suis prise par la peau du cou , pour aller vérifier par moi-même la santé de ma mère-qui-ne-peut-pas-dormir . Je l'ai trouvée tout à fait en forme , donnant à l'incident ( de ne pas avoir dormi ) des proportions raisonnables .... Est arrivé N. , à qui j'avais confié cent euros pour la semaine de courses , ce qui évitera de s'inquiéter de la disparition éventuelle d'un billet dans la caisse . Il me signale , un peu hésitant , qu'il a emmené ma mère au Mc Do , Samedi midi ; maman prend un ton douloureux et timide de petite fille maltraitée pour me signaler que ça lui fait une sortie , car elle ne sort jamais autrement ( moi , je m'étais carapatée pour le week-end , fille indigne ) . Le Mac Do , pourquoi pas ? J'approuve des deux mains . Bon , me voilà rassurée ... et même si c'était N. qui a piqué ce billet de dix euros , c'est pas trop grave ... mais je ne saurai jamais , je crois bien .
Ensuite ,je vais en ville fournir les dernières attestations - enfin , j'espère , les dernières - à la petite Léna , qui espère ainsi pouvoir toucher le RSA , ou le chômage , pendant quelques mois . Nous prenons un café ensemble ; elle est bavarde , pour une fois , nous disons du mal des employés du Pôle Emploi, elle y est allée quatre fois , chaque fois , au compte goutte , ils lui ont demandé de nouvaux papiers , que je dois remplir chaque fois .... elle m'explique qu'elle a l'habitude , qu'il faut commencer à faire les démarches dés qu'un contrat est terminé ... parle des formations qu'elle a déjà faite , dont une , qui lui plaisait bien , en menuiserie ..Elle a trouvé un travail à l'hôpital , mais si elle le prend , elle ne peut faire garder son pitchounet , la grand-mère qui devait le garder a eu une rechute de cancer , et elle ne trouve pas de nounou ... Et conclut donc qu'il vaut mieux qu'elle reste au chômage tout l'été . J'en tombe tout à fait d'accord . Je me rends compte qu'elle a de la force et de la ressource , elle aussi ... ( elle aussi , je veux dire : comme moi ...)
En tout cas , c'est , là encore ,un poids de moins . Je la quitte , sachant que ne vais pas la laisser tomber , mais me sentant fort allégée de la culpabilité que j'avais éprouvée ... Et je vais fêter ma délivrance en faisant les soldes de sandales , m'en offre deux paires parce que la deuxième offrait soixante-dix pour cent de réduction , y'a pas de quoi se vanter ; et en reprenant ma voiture , guillerette , tout à coup je me dis :
" Eh ben ,alors , Dieu a pris le relais ... "