Décidément , je m'étonne moi-même ... je n'ai pas stressé avant de partir Dimanche dernier ; je n'ai pas eu , en rentrant hier soir , le cafard terrible et le morne désespoir qui m'étaient habituels il y a quelques mois encore - d'ordinaire accompagnés d'une terrible crise de rangement et de nettoyage ... Soit que le séjour à Rishikesh ait vraiment bouleversé quelque chose en moi , m'ait vraiment donné une bouée insubmersible pour éviter de me noyer dans la bouillie émotionnelle familière ; ou encore que la pratique quotidienne du rééquilibrage des chakras ( pijas mantras , je vous en parlais l'autre jour ) m'aide à garder une certaine stabilité ( peu familière , celle -là , alors .. ). Voui , mais ... me direz vous : c'est bien joli , mais , est-ce que tu n'es pas en train de refouler joyeusement tout ce qui n'était pas bien agréable à voir , tout ce qui ne correspondait pas à l'image sympathique de toi qu'il est toujours plus agréable de montrer ?? Raahhhhhhh , oui , on n'est jamais sur... et moi , moins que personne ... , au détour du Chemin les monstres peuvent ressurgir et c'est alors qu'on s'aperçoit qu'ils n'étaient pas anéantis , seulement enfouis ... Donc , la seule réponse possible est : je ne sais pas , je vous en reparlerai dans quelques mois ...
Mais en ce qui concerne le retour du refoulé ... Vous ai-je dit à quel point je me sentais contente de moi au retour de Rishikesh , quasi certaine d'avoir franchi une étape dans le détachement et le progrès spirituel ? et j'avais fait un énorme paquet de tous les vêtements en trop que j'ai donné au secours populaire ... en route pour la sainteté , je vous dis ... l'est pas trop tôt ...
Ahiiiiii ! comme disaient mes petites élèves des quartiers Nords autrefois ... Malheur ! A peine ai-je eu posé le pied sur le quai de la place Saint-Marc , débarquant du vaporetto , qu'une crise de folie s'est emparée de moi et m'a emportée haletante pendant ces quelques jours , passant frénétiquement d'une vitrine à une autre avec la langue pendant jusqu'aux genoux ( malgré le froid vif ..) , en proie aux désirs variés de tout , tout , tout .. toutes ces choses transparentes pailletées d'or , tous ces colliers chatoyants , toutes ces boucles d'oreilles scintillantes , ces verres en cristal tout fin , comme gaufré , dont le pied est un animal marin délicatement sculpté , ces presse-papiers au fond desquels s'offre un frais bouquet de fleurs printanières en perles millefiori , ces miroirs , ... et puis , ailleurs , il y avait les gants , les petites bourses brodées de fleurs , les soies et les velours , et les tissus Fortuny dont se parait Albertine ; les petites lampes aux abat-jours de papier plissé en forme de coquillage , qui diffusent une lumière chaude et douce ... ou les marionnettes à tête de chat , habillées de robes somptueuses de marquises . Je me suis trouvée bien incapable de lutter .Quand au détachement , il est allé voir en Inde si j'y étais ... et m'a suggéré qu'un peu d'humilité ça ne fait pas de mal .
Tout de même , j'ai réussi à rester dans les achats raisonnables , en espérant que ça n'était pas made in China ( il y a une concurrence terrible avec les verriers de Murano) ... Depuis nos Cévennes enchassées dans les terres , où la tentation de l'austérité m'est plus aisée , favorisée par l'arrière-plan paysan et protestant , je peux contempler , soit la ligne des collines en face , soit sur le bureau un souvenir de ces petites lumières Vénitiennes dansantes et si gaies malgré que le verrier les ait enfermées dans des boules de verre ...