Où en étais-je restée ? Ah , oui , l'expo à Saint-Jean du Gard , Jeudi soir ... j'étais hyper stressée d'y aller - à tort : atmosphère bon enfant , les autres artistes de Saint-Jean ou d'ailleurs , ( photographes , peintres ) sont accueillants et conviviaux , et leurs oeuvres de bonne qualité . J'ai apprécié beaucoup ,notamment , les belles photos de Camargue , paysages en noir et blanc de Patrick ... Je m'installe sans problèmes majeurs à la place qui m'est réservée , malgré la foule un peu trop dense qui se balade au marché à touristes de Saint-Jean vers cinq heures de l'après-midi - ( mais j'aurai , pendant quelques jours ensuite , des douleurs variées aux articulations , pour avoir un peu trop forcé en portant fauteuils , chaises , cartons ... ) . Bon ... J'espère , en exposant , me débarrasser de quelques oeuvres anciennes pour faire un peu de place sur les étagères de l'atelier trop encombré ...
Et me voilà installée . J'ai apporté deux fauteuils métalliques ultra confortables , un pour les pieds ,un pour les fesses , un coussin , et une provision de bouquins- quel rêve ! - plusieurs heures où je ne risquerai pas d'être sollicitée par maman ou une auxliaire de vie bien intentionnée , où je ne penserai pas qu'il faut que je pulvérise de la décoction de prêle sur les courges attaquées par l'oïdium , que j'arrache des mauvaises herbes qui étouffent les hémérocalles et les petits cosmos orange , qu'il y a du repassage à faire ou la serpillère à passer dans la cuisine en bas ... Donc , je suis dans une petite rue un peu étroite , pas très gaie si l'on veut , mais c'est mon coin de paradis à moi pour quelques heures ... Et puis , les voisins sont sympas : nous regardons nos oeuvres respectives , la voisine du dessus , qui n'est pas une artiste mais s'intéresse , m'apporte de l'eau glacée avec du sirop de menthe - elle en profite pour prendre mon attention vingt bonnes minutes afin de me raconter avec énergie sa vie et ses déboires , pourquoi pas ! - les gens passent , me disent qu'ils trouvent mes peintures belles , les enfants débordent de compliments , me disent que je suis une vraie artiste , youpi ! Quand aux gens qui n'aiment pas , ils passent ... J'ai emporté Du côté de chez Swann , j'en suis à la fin , aux déboires en forme de méandres du narrateur ado et amoureux de Gilberte ... et , pour me changer de Proust , Le château de Lord Valentin , de Silverberg , que je relis également - d'être tombée dans Eragon il y a quelques semaines , livre acceptable mais sans plus , m'a donné envie de revenir à un vrai bon auteur d'héroïc fantasy , dense , poétique , vaste ... confortablement installée , les chevilles sur le coussin et mon verre de menthe glaciale à la main , je savoure ...
Le soir vient ; une femme d'une quarantaine d'années , plutôt belle , au visage triste , tourne et tourne autour de la table où j'ai posé quelques peintures encadrées , fouille dans le carton où j'en ai entreposé une vingtaine ... en prend une , une autre , revient à la première ... elle me dit : " c'est joli ! " je dis merci ... puis ... " mais ça n'est pas que joli ! " - je dis .." oui .." Elle finit par en sélectionner deux , pas très gaies ; elle me dit qu'elle n'a jamais acheté de peinture ,que ça sera la première fois ... mais qu'elle n'est pas décidée , elle va faire un tour au marché et reviendra . Bon ! Si j'en vends , tant mieux ... sinon , c'est pas si grave ... ma situation financière n'en dépend pas .
Une heure après , elle revient et me dit désolée : j'ai acheté autre chose ! ça me fait rire , je lui dis que c'est bien - je ne sais si elle est désolée pour moi , ou pour elle : elle a acheté quelque chose pour sa petite nièce . C'est bien , de toutes façons ...
Et pourtant , le soir en revenant , je ne peux m'empêcher de comparer avec l'été d'il y a deux ans , quand je conduisais très tard , sur cette même route, au retour des représentations de King Arthur . La musique , donner un concert , les applaudissements , le bonheur du chef d'orchestre ... ça me rendait plus joyeuse qu'une expo de peinture , tout de même . Seulement , voilà , la peinture c'est mon truc . La musique , ça sera quand j'aurai le temps - si je dois l'avoir , je l'aurai , si ça n'est jamais , c'est que c'était pas mon truc . En outre , les chefs de choeur amoureux de Purcell , c'est pas tous les jours qu'on tombe dessus ... Il y a eu cet été 2010, qui était un bel été . D'autres viendront , différents ; je ne veux surtout pas être captive de la nostalgie , que je ressens comme un enfermement m'empêchant de m'ouvrir à d'autres expériences ... J'ai terminé la relecture du premier tome de Proust , qui se termine tellement sur la nostalgie : moi aussi , dés que j'ai , à regret , refermé la porte du monde enchanté , je deviens nostalgique des ombrelles mauves de Madame Swann dans les années mille huit cent quatre vingt , des instants que je n'ai pourtant vécus que par procuration , en accompagnant les promenades printanières de Marcel au temps des glycines ...