Repensant à Auroville ... j'y penserai dorénavant toujours en me disant : les Aurovilliens sont en chemin . En chemin , ni plus ni moins , comme moi , comme vous ..  qu'on se considére en évolution spirituelle , ou non , peu importe .. tous , nous sommes en chemin . ( il y avait cette  phrase dans une petite chanson de Brigitte Fontaine : du berceau , au tombeau .. je ne me rappelle plus la suite )  Et donc :  tout jugement ne peut se faire qu'en considérant  d'abord qu'ils sont en train de cheminer , ou de changer  . 

           En chemin ; et ils ont envie de faire bonne impression - comme le gars qui nous avait fait une conférence sur Auroville ; il  avait commencé en plongeant dans sa vie de famille   .. pourquoi pas . Nous parla longuement de Mère .. des péripéties autour d'Auroville , une histoire de grave conflit de pouvoir entre l'ashram de Pondichery et les habitants d'Auroville ,  avec des accusations de malversations , ceci il y a quelques décades si je comprends bien ; conflit qui ne s'est résolu que grâce à l'arbitrage et l'autorité  du gouvernement indien ..Enfin  , quand il voulait clore,  il expliqua que les enfants éduqués à Auroville atteignent des résultats scolaires tout à fait remarquables : 100% de réussites au Bac au Lycée de Pondichery - et là  je n'ai pu m'empêcher de rigoler parce que , durant toute l'époque où j'étais prof , on savait bien en regardant les annales que les épreuves du Bac dans les territoires d'Outre Mer étaient toujours beaucoup plus faciles qu'en métropole .. malheur ! notre conférencier , piqué au vif par la remarque de cette vieille  mégère  , m'a répliqué de façon acerbe .. Sur le moment , je n'ai pas trop compris ce qui se passait , j'ai juste ressenti un malaise léger . Puis , je me suis rendu compte que ce qui m'apparaissait rigolo , l'avait agacé  .  Mais aussi ,  pourquoi diantre quelqu'un qui suit un chemin spirituel voudrait-il prouver que c'est aussi un atout de réussite sociale ?

        Oui , ils  ils veulent le beurre et l'argent du beurre ; le chemin spirituel  , et en plus  la réussite dans le siècle  et la reconnaissance sociale , et de l'amour , et de la considération  ... mais est-ce que je n'en suis pas là  , moi aussi ?  .

            J'avoue avoir été étonnée quand le gérant , ou propriétaire , du magasin de bijoux en pierres naturelles , délicieux magasin que j'ai visité  trois fois en dix jours , m'a fait  , à moi seule du groupe , une remise - que   je n'avais pas demandée .. J'ai été fort étonnée ; mais en y réfléchissant , si je revois la façon dont ça s'est déroulé , je vois bien pourquoi il s'est comporté de la sorte , dans sa logique à lui , qui n'est pas la mienne . La première fois , je suis venue avec deux  personnes  . La deuxième fois   , je suis revenue seule  afin de choisir le cadeau  collectif de notre groupe pour Nathalie . Apprenant que je faisais partie d'un groupe de visiteurs  , le gérant m'a demandé de les amener , autant que je pouvais  . J'ai trouvé que c'était normal , son magasin étant un peu caché il avait envie que des clients viennent  .. Quand à moi ,  ça m'était naturel aussi de vanter les charmes de cette boutique , j'adore les pierres semi-précieuses et j'aime bien partager mes émerveillements . Les  copines voulaient savoir où c'était ( dans un hameau , un agréable  trajet à faire sur un sentier dans la forêt ) , je les ai donc  accompagnées la troisième fois ; poussant mon vélo qui me servirait pour le retour . Comme je connais la crise de frénésie qui prend les nouvelles clientes dans ce genre de caverne d'Ali Baba , je me suis mise sur le côté pour choisir tranquillement mon dernier achat ( une paire de boucles d'oreilles en topaze fumée , pour moi ) , attendant que les autres aient terminé les leurs ; résultat , je suis partie tout en dernier . Surprise ! je paie cash , le type me rend cinq cent roupies , et en plus    ..  m'ofre un assez bel oeuf en lapis-lazuli . Ca m'a fait vraiment rire ; ça n'est pas mon genre de chercher un backshish !  j'ai accepté dans l'instant , tout en me sentant un peu mal à l'aise du malentendu : ce genre de cadeau ne me concerne pas  , je déteste exercer toute forme de commerce et de manipulation  ( * )       . Je ne voulais pas garder cette " commission" pour moi : j'ai donc proposé de payer la tournée aux assoiffées du groupe que j'ai retrouvées à la Ganesh Bakery , leur racontant l'aventure qui me paraissait comique  . Cinq cent roupies , ça fait pas tout à fait huit euros .. 7 euros cinquante  . Pour nous ,occidentaux ,  c'est rien du tout - ceci dit , si je creuse  ,  j'ai trouvé agréable ,  ( soi dit entre moi et mon surmoi ),  de recevoir une forme de reconnaissance :  parce qu'accompagner , en poussant mon vélo , les personnes du groupe qui marchaient plus lentement , alors que j'avais envie de pédaler librement , m'avait un peu pesé .

            Arrive un couple :  les deux premières personnes avec lesquelles j'étais venue ;  je leur raconte l'histoire , pensant qu'ils allaient rire avec moi - mais non , ils avaient eu une mauvaise après-midi  , en tout cas ils étaient fatigués  ; les voilà tout à fait furieux de n'avoir pas eu de ristourne eux .. . eux qui avaient amené plein de gens  dans cette boutique ..  Ouh là ! Sentant que la blessure était aigüe , je leur ai filé le reste de mon " pourboire "  .. il restait un peu plus de la moitié de la somme , Dieu merci ! plus ,  l'oeuf en lapis ..  un peu de baume sur leurs plaies de  l'instant  . Mais je me demande comment ils se racontent l'aventure ,eux . Doivent avoir des problèmes d'argent , ou en avoir eu dans leur enfance . Le tout m'a laissée un peu interloquée  .. finalement . Mais très souvent , je ressens là comme une pièce de théâtre .. ni plus ni moins que des rôles que nous jouions - chacun , le plus honnêtement du monde , jouant son rôle , dans son monde .

 * ( c'est peut-être pour ça que je vends peu mes peintures ; mais seulement à des personnes qu'elles touchent , c'est l'avantage de ne pas être un peintre coté ; donc chacune de nous a accés , ainsi , à l'essentiel )