Deux heures et demie du matin : je me réveille en sursaut , hyper angoissée malgré le chat ronronnant installé contre mon oreille . Nous venons , le soir même , d'accepter une offre d'échange de maison , qui doit avoir lieu dans fort peu de temps , avec des habitants d'Amsterdam ; ce qui d'une part me réjouit , - revoir tous ces merveilleux musées , le Rikjsmuseum vient d'être rénové parait-il , se promener dans Amsterdam .. - et d'autre part m'angoisse car la nouvelle chambre faite par Philippe n'est pas encore tout à fait prête à recevoir des hôtes ... m'angoisse car si je veux faire une exposition à Corbés cet été , comme je l'avais promis à R. , je me demande si j'ai assez de peintures prêtes .. etc ... etc..
Rien ne sert de rester allongée dans ces cas là , au contraire : je descends dans l'atelier vérifier les peintures que je juge acceptables - il y en a quatorze . Donc , ça ira , en ajoutant quelques unes faites l'année dernière . La dernière , que j'ai faite Dimanche , me plairait bien pour l'affiche , d'ailleurs ...
Bon .. pas envie de me mettre à peindre à cette heure de la nuit .. mais en examinant le carton où sont placées les aquarelles non encore encadrées , bien à plat , je suis tombée sur la peinture faite fin Décembre ; j'y avais calligraphié un petit bout de l'introduction à une Upanishad ( Isha ? ) .. et rien que de relire ces quelques vers , l'angoisse me quitte , d'un coup . ( cf chapitre 1424 et 1425 )
Ce trésor des Upanishads, à portée de lecture .. je me replonge dans l'énorme livre de Martine Buttex , que j'ouvre au hasard .. à cette heure-ci de la nuit , on a l'esprit tout grand ouvert : les premières phrases lues ( Kena Upanishad ) m'éjectent d'un coup en dehors de mon tournage en rond habituel - la porte plonge au sein de l'immensité , vide intergalactique et étoiles en sus .. et le couloir pour arriver à cette porte m'a conduite avec une logique tellement pertinente , tellement mathématique , tellement implacable , que je ne peux que suivre pas à pas vers l'éblouissement :
( I, 1) Om ! Par qui la pensée ( manas ) a t'elle été envoyée voleter de ci de là ? Par qui attelé au départ , le souffle vital ( prana) erre t'il de ci de là ? Qui émet les paroles que nous prononçons ? [..]
(I, 3) L'oeil ne peut parvenir jusque là , ni la parole , ni la pensée . Nous ne connaissons pas Cela ( Tat ) et ne comprenons pas comment on peut nous l'enseigner . Car Cela est différent du connu , mais est aussi au delà de l'inconnu . Voilà ce que les Voyants ( rishis ) nous ont enseigné à ce sujet .
(I, 4) Cela qui n'est pas exprimable par la parole , mais par quoi la parole peut être exprimée , Cela seul , connais-le comme Brahman , et non ce que la parole vénère ( ou exprime )
(I , 5) Cela qui n'est pas pensable par la pensée ,mais par quoi la pensée peut être élaborée , Cela seul , connais-le comme brahman , et non ce que la pensée vénère ( ou pense )
( I, 6 ) Cela qui n'est pas visible pour l'oeil , mais par quoi l'oeil peut voir , cEla seul conais-le comme Brahman , et non ce que l'oeil vénère ( ou voit )
( I, 7) Cela qui n'est pas audible pour l'oreille , mais par quoi le souffle respire , Cela seul ,connais-le comme Brahman , et non ce que l'oreille vénère ( ou entend )
( I , 8) Cela qui n'est pas respiré par le souffle , mais par quoi le souffle respire , cela seul ,connais-le comme Brahman , et non ce que le souffle vénère ( ou respire )
Et voilà , maintenant c'est le matin , la porte s'est refermée .. m'en reste juste le souvenir du parfum , une sensation troublante au profond du ventre ; et les mains , la pensée , qui tatonnent le long des parois du couloir ...