Dimanche un peu heurté , hier .. Chez nous il faisait gris et pluviotant et frisquet ; j'aurais voulu profiter de ce Dimanche calme pour peindre et jardiner ,puis passer chez maman ... Mais Philippe voulait depuis longtemps aller voir l'exposition de la collection Yves Lambert à Avignon , exposition dans une ancienne prison , et nous étions dans les derniers jours . Avignon , c'est une heure et demie de voiture , je n'étais pas trop enthousiaste . En plus il déteste l'art contemporain , en général ; et moi , je le boude un peu . Ah oui mais Télérama et le Monde ont dit que l'expo était géniale , et le Philippe il lit les journaux ... Je vais vérifier les heures d'ouverture sur le site internet : l'affiche est chouette , l'expo s'appelle La disparition des lucioles .. quel joli nom . C'est assez pour me décider .
Nous partons vers midi , tous deux de mauvaise humeur ; Philippe parce que j'ai traîné , moi parce que je n'ai pas jardiné - seule Hermione est ravie de la balade .. Je m'endors dans la voiture , et ne me réveille qu' en traversant le Pont de l'Europe . J'ai l'impression d'avoir changé de saison , tant le temps est complétement différent , beau et doux et ensoleillé .. On se trompe de parking , tout d'abord ; trouvant dommage de laisser le chienchien dans la voiture et dans le noir pendant les deux heures de visite , nous l'emmenons , projetant de voir l'expo à tour de rôle . Un peu de difficulté à se rappeler l'endroit exact .. nous tournons un peu en rond - mais après une demi-heure de marche , on atterrit , enfin , devant cette prison désaffectée . Qui a une tête de prison désaffectée : barbelés au sommet des hauts murs minables , petite porte d'entrée , grilles vert amande , rien de sympathique ... Et déjà une queue .. Phil hait les queues et la foule d'une haine viscérale : dépité , il m' annonce avec énergie qu'il ne visitera pas . Je décide d'y aller , convaincue de pouvoir le persuader de visiter ensuite - avoir fait tout ce trajet pour renoncer ...
J'attends à peine cinq minutes .
Un texte à l'entrée explique le titre de l'expo : les lucioles disparaissent pour cause de pollution - c'est vrai , il y en avait à Nice des lucioles quand j'étais petite , dans notre jardin ; mais je n'en ai plus revu que l'année passée , dans des rizières d'Andra Pradesh .. et c'était magnifique . Donc , les lucioles disparaissent , la collection d'Art Contemporain Yves Lambert n'a plus de lieu , je ne me souviens plus pourquoi , et mettre de l'art contemporain dans cette prison désaffectée c'est , en gros , comme remettre des petites lumières dans ce lieu difficile ..
C'est vrai , un lieu crade et opressant , mais surtout parce qu'il y a du monde . Les cellules sont toutes petites . Moi , quand je me trouve dans un endroit comme ça , ma première réaction est de nettoyer ce que je peux nettoyer , de gratter ce que je peux gratter , de repeindre ce que je peux repeindre .. à ma mesure . Une cellule est un lieu propice à l'intériorisation , on peut méditer , prier , lire , dessiner ... Bien sur , là , rien de tel . Au fond d'une première cellule , est écrit en néon vermillon " Vous qui entrez ici , abandonnez toute espérance " . Plutôt rigolo ... à cause de la gaîté des couleurs du néon . Et de l'endroit . Je pense que ça serait mieux adapté dans un super marché , en ce qui me concerne .
La deuxième cellule : il y a tant de monde à l'intérieur que je ne peux voir . A droite de la porte d'entrée , un papier avec le titre et l'auteur et ma date - c'est tout .
La troisième : une vidéo ; invisible car trop de monde aussi .. je quitte .
La quatrième : par terre des petits bâtons , genre brindilles de noisetier , sont diposés à terre en cercles concentriques . Le texte affiché à l'extérieur en précise le nombre , sans que je comprenne , je crois que c'est 43 .Enthousiasmant .
La cinquième ( ? ) : des cadres 20 x30 ou 30x40 sont accrochés au mur ; à l'intérieur , des cartons vides . Fabuleux .
La sixième , trop de monde , je ne peux rentrer .
La septième , tiens ça c'est pas mal : un canoé en plomb grandeur nature , et des livres en plomb , en mémoire de quelqu'un qui s'appelle Paul Celan - mais je ne sais pas qui c'est . Un écrivain ?
La huitième , des tas de luminaires dans le genre IKEA sont accrochés au plafond ,, allumés cette fois . Passionnant .
La neuvième , peut-être , une sculpture d'un personnage à tête géante .
La ... ? , une ficelle prend du plafond , à laquelle sont accrochées une dizaine de boites de conserves vides . Tiens , ça me rappelle le luminaire que j'ai tenté de faire , mais moi il y avait des bougies dedans , genre mobile de Calder , c'était chouette mais l'équilibre était difficile . Là , pas de bougies .
Et caetera , et caetera , etc ...
Une famille plutôt plan plan , des Avignonnais , visite presque en même temps que moi ; j'entends la dame dire gaiement à sa fille, préado rondelette : tu vois , l'art contemporain , c'est juste ta chambre que tu ne ranges jamais .
Que dire ? En mon for intérieur , je trouve qu'elle a raison . L'Art Contemporain , c'est souvent ça . Trop hermétique pour mon goût , ou trop intello .
J'ai mis un terme à ma visite avant de monter au premier étage .. Je n'aime pas le lieu; mais pas trop les oeuvres non plus . Et j'ai l'impression d'avoir fait mon devoir culturel . A force de peindre mes petites lucioles à moi , je ne m'intéresse que bien peu aux lucioles des autres , je préfère toujours les miennes ou leurs soeurs . Je retiendrai , du peu que j'ai vu , quelques belles photos en blanc et noir ... Et surtout , une impression de lourdeur . Pas seulement ce canoë en plomb .. Et non ,non et non : je ne vois pas pourquoi ça serait inhérent au cadre de la prison : Sri Aurobindo a été visité par l'Eveil en prison ; et que dire de tous les moines , partout .. Est-ce que l'art contemporain ne véhicule qu'accablement ?
Je n'ai pas persuadé Philippe d'aller voir ; je nous ai offert un gâteau et du café à la pâtisserie qui fait le coin de la place de l'Horloge - où il n'y a plus d'horloge depuis longtemps . Quand j'habitais Avignon , la statue avec le monument aux morts était encore là , maintenant elle trône au milieu d'un parterre de voitures sur les allées de l'Oule ...
On est rentrés , la nuit tombait presque . Un arrêt à Collias : je crois bien que je n'y étais pas allée depuis trente ans . Le Gardon coule presque grandiose , bleu glacier sous le pont ... A la sortie du village , sur la route de Sanillac , un moment magique : la petite route s'enfonce entre deux murs de limon de deux ou trois mètres de haut , surplombés par la voûte d'or des chênes ...