Hier après-midi , comme Philippe devait aller faire une course à Arles et qu'il se sent maintenant assez bien pour conduire avec plaisir , je lui ai demandé de me poser à Nîmes : en cherchant des girolles , mon jean et moi-même sommes restés accrochés dans les lianes épineuses de salsepareille , quelques égratignures de plus pour moi , une grande déchirure inquiétante pour le jean ,et j'ai alors remarqué que son tissu était devenu tout fin par endroits - quelle désolation , cinq ans seulement que nous nous promenions inséparables ... je me suis dit qu'il me fallait , en urgence , aller en acquérir un de rechange , oui chez Damart , je sais c'est pour les mémés mais je m'en fous , ce sont les seuls qui font des jeans qui ne s'arrêtent pas dix centimètres sous le nombril , c'est ce qu'il me faut pour jardiner ou aller aux champignons ... )
Donc , je trotte jusqu'à Damart , acquiers vite fait bien fait deux pantalons que j'espère ultra solides , puis me proméne oisivement dans la jooooooolie zone piétonne de Nîmes ; je flâne , me laisse tenter par une n-ième paire de chaussures , encore une oui mais celles-ci sont ultra confortables et juste du gris-bleu assorti à mes yeux (!) et donc aux genres de pulls que je porte le plus souvent . Et encore , la boite va me servir pour envoyer du thym aux malheureuses amies qui sont dans le Nord ( là , je reconnais que c'est bien la pire des justifications !) . Enfin j'attends Philippe à la terrasse de chez Courtois , résistant admirablement à la tentation des sublîmes gâteaux au chocolat , regardant les élégantes aller et venir .... Je rentre à la maison ravie de l'escapade .
Paf ! Dés que je franchis le seuil , la panique me prend : où est mon trousseau de clé ? je cherche fébrilement , dans un sac dans l'autre dans la voiture dans la poche de mon manteau ... je téléphone au magasin où j'ai enlevé le manteau pour voir si on les a trouvées ... je suis près de pleurer d'angoisse , plus de clef il faut que je fasse refaire la clé de la voiture le bip du portail , etc ... en plus ,j'avais mis en train de la confiture de chataîgnes avant de partir à Nîmes et j'ai , comme souvent , oublié d'arrêter la plaque électrique , heureusement que le thermostat était au plus bas ; une innommable odeur de brûlé s'est répandue dans toutes les pièces et me tient compagnie pendant qu'envahie par une hystérie incontrolable je retourne les placards dans l'espoir constamment déçu de mettre la main sur ce fichu trousseau de clefs ..
Au bout d'une demie-heure , je fais des efforts pour reprendre pied . Je récapitule , me souviens que lorsque je suis rentrée le matin Philippe était en bas , que j'ai jeté ma veste marron sur le lit du bas pour lui monter les photos que j'étais allées chercher , une sélection des photos de l'année tirée sur papier ... je retrouve la veste , clefs dans poches de veste ... ouf , tout se remet en place . Mais que l'angoisse et le stress sont vite montés ... qu'ils ont vite pris toute la place dans ma tête faiblarde ...
Ce matin , je me réveille vers les cinq heures et demie le visage crispé ; décide alors de me cocooner , faire une thermos de tschaï , puis retourner au lit avec un livre attrayant - je ne sais pas encore si c'est un bon livre , je dirais en tout cas un livre habilement fait , c'est déjà quelque chose à l'âge que j'ai ( ça s'appelle La belle vie , de Jay Mc Innerney , et pour le moment ça me rappelle un peu La Mousson , de Louis Bromfield ,que j'ai lu quand j'avais quinze ans , mais là à la place de la bourgeoisie coloniale anglaise en Inde vers 1930 il y a le milieu intellectuel friqué branché Manhattan en 2001 , dans les deux bouquins il y a la rencontre de deux êtres-faits-pour-s'entendre-plus-sincères-que-leurs-milieu-artificiel , l'un sur fond de mousson terrifiante et d'inondation , l'autre sur fond de catastrophe du 11 Septembre 2001 . Mais , je répète , je n'ai pas fini le livre ) . Lire au lit le matin , un délice .. je me lève paresseusement à huit heures , et suis assaillie d'un coup par la saleté des vitres que j'avais pourtant nettoyées hier avant la pluie ; il y a , forcément , le ménage habituel à faire , mais je me dis qu'il faut aussi que je mette une lessive , me souviens que j'ai proposé à la voisine , que j'ai beaucoup négligée ces mois derniers , d'aller avec moi aux champignons cet après-midi : elle va avoir quatre-vingt ans et je suis , je crois , la seule personne à l'emmener aux champignons - son mari est handicapé - , et puis je me souviens aussi que j'ai dit aussi à maman que j'irais la voir vers les quatre heures de l'après-midi , pauv'maman qui se sent seule par ce beau temps ,et encore que je me suis promis de faire la cuisine pour pallier mon épouvantable inégalité d'humeur à la maison ... faut caser ça dans la journée . Et vlan , c'est reparti pour le stress et la culpabilité , l'impression d'être constamment secouée comme un prunier avec les dents qui s'entrechoquent ...
" Il faut beaucoup de sincérité , un peu de courage , de la persévérance , et puis une sorte de curiosité d'esprit , n'est-ce pas : curieux , qui cherche à savoir , qui est intéressé , qui aime à apprendre. Aimer à apprendre. Cela , il faut l'avoir dans sa nature. Ne pas pouvoir tolérer d'être en face de quelque chose qui est gris , tout brouillé et dans quoi on ne voit pas clair et qui vous donne une impression tout à fait désagréable parce que vous ne savez pas où vous commencez ni où vous finissez , ce qui est vôtre , ce qui n'est pas vôtre , et ce qui se décide , ce qui ne se décide pas- quelle est cette espèce de bouillie que vous appelez vous-même où les choses s'enchevêtrent et agissent les unes sur les autres sans même que vous vous en rendiez compte ? On se demande: " Tiens ,pourquoi ai-je fait cela?" Vous n'en savez rien. "Et pourquoi ai-je senti cela ? " Vous n'en savez rien non plus. Et alors , vous êtes projeté dans un monde dehors qui est une fumée , et vous êtes projeté dans un monde dedans qui est aussi pour vous un autre genre de fumée , encore plus impénétrable , ouù vous vivez , comme cela , comme un bouchon qui est rejeté sur l'eau , et les vagues l'emportent et le jettent en l'air et il retombe et il roule. C'est une condition assez désagréable . Je ne sais pas , celà me parait désagréable.
Voir clair , voir son chemin , où l'on va , pourquoi on va là , comment on va y aller , et qu'est-ce qu'on va faire et quel est le genre de relation avec les autres. Mais c'est un problème si merveilleusement intéressant- il est intéressant-et on peut toujours découvrir des choses à chaque minute ! On n'a jamais fini son travail."
( Le regard intérieur : La Mère )
Ce texte me fait du bien , quoique je sois par nature ou par éducation peu intéressée à savoir le pourquoi des choses , que je ne sois pas gênée de vivre dans le gris ,que j'aime le brouillard ...et quand à aimer à apprendre , il me semble que c'est plutôt une qualité d'Hermione . Mais , allez savoir pourquoi , ce texte me fait du bien ...