Trois heures et demies du matin ; un moustique importun m'a piquée au mollet - je dors sur le canapé du salon vu la chaleur étouffante dans la chambre . Sur la terrasse , la fraîcheur est agréable , la nuit légèrement humide ; mais la lune à mi-course , brille impitoyablement , blanche , aveuglante , sans chaleur . Je veux étirer , imprudemment , la jambe : une morsure à l'orteil m'apprend que Noisette s'était lovée tout près de mes pieds ...
Tout en me préparant une tisane de basilic dans la cuisine , je pense avec tristesse à la condition de la grande vieillesse en général , à maman en particulier ; la pauvre est très angoissée par mon départ; bien sur , il y aura Sylvie ,sur qui l'on peut compter , et puis la jeune femme , venue en renfort pour quelques jours , qui est douce et présente ; mais maman me connait depuis soixante-six ans , je lui manquerai : la seule de la famille à l'accompagner tant bien que mal , même dans son état actuel . Dieu sait pourtant que je ne suis pas fière de moi ; je vois bien pourtant comment je pourrais lui être plus utile , mais j'arrive si difficilement à concilier les différents aspects de cette vie ...
Je me dis que j'ai vraiment de la chance de ne pas avoir d'enfants ni de petits-enfants : c'est un attachement à sens unique la plupart du temps . Maman , l'autre jour où je lui faisais une remarque ( du genre : n'oublie pas de remonter ta culotte .. " ) me dit d'un ton léger , gentil , presque amusé : " tu sais , j'ai encore la tête sur les épaules - quelquefois , pas toujours !" .
Je repense aux vacances d'autrefois ,dans la maison familiale de Haute-Savoie : insupportables pour l'ado contrainte que j'étais , pour mes soeurs qui venaient agacées ; les années heureuses de sa vie à elle , quand elle faisait la cuisine pour tout le monde l'été , et tentait d'harmoniser la vie de la maison , à sa manière . Après - tant de deuils , tant de pertes , années après années , au fil d'une longue vie ordinaire .
Allons ! Je me suis laissée envahir par la tristesse ... Demain matin nous partons , moi pour la Bretagne et une semaine de yoga , Philippe va plus loin ... une perspective qui m'a redonné de l'énergie , à défaut de joie . Les quatre derniers jours , j'alternais tant bien que mal les heures auprès de maman ( beaucoup soulagée , concrétement , par la présence de cette jeune femme en milieu de journée auprès d'elle , qui lui donnait une douche à ma place ) , et un travail d'arrache-pied dans l'atelier afin d' encadrer mes oeuvres de l'année ( celles de l'automne sont bien meilleures , et depuis quatre mois j'ai eu trop peu de temps pour peindre , hélas ) . Au tour de mes cousins de se reposer dans notre havre ! ( en les entendant raconter leur mois de Juillet , je me dis qu'ils en ont bien besoin ) . Ma cousine ira voir de temps en temps maman , qu'elle aime bien . Faut-il définitivement dire " aimait bien ? "