Jeudi soir , lorsque l'infirmière a téléphoné pour m'annoncer la mort de maman , je pouvais à peine parler tant j'avais de peine . Le lendemain matin , ça a été lourd et difficile ; tant de coups de téléphone à donner , de gens à voir , à prévenir . Vendredi matin , je suis allée dans une entreprise de Pompes Funèbres pour régler la question de l'inhumation . la directrice , jeune et toute ronde , était vraiment sympa ; son bureau était décoré dans un style funéraire , blanc , noir , gris et violet , marbre et orchidées vraies et fausses ... fascinant . Je me suis demandée comment c'était décoré chez elle ... J'aurais voulu prendre un cercueil " en carton " et incinérer le corps de maman , façon écolo ; mais ma soeur aînée , qui doit se sentir très coupable , la pauvre , de n'être pas revenue après sa dernière visite , en Juillet dernier ( visite assez horrible pour elle , je crois , la pauvre : maman perdait la tête à ce moment là et c'était nouveau ) , a insisté pour que ça soit un enterrement . Je trouve ça un peu dommage de couper un arbre vivant pour un humain mort . Mais , bon , à moi , peu importe ; à cette soeur , visiblement , beaucoup . En sortant des pompes funèbres , j'avais la tête comme une cocotte minute , douloureuse et lourde , mes petites cellules grises fonctionnaient à grand-peine , je m'énervais sur le téléphone portable que je manipule mal .. les chaussures de marche vite aux pieds , je me suis précipitée dans les bois . C'est une promenade à partir du château de Tornac , très jolie en toutes saisons mais particulièrement en automne , qui monte au début sous les chênes , continue par un bon raidillon dans les pins , chemine un peu à plat entre les arbousiers , sur un sol de terre rousse , puis redescend sous d'immenses chataîgniers ; c'est la partie la plus belle , avec une vue magnifique . Hermione , qui n'est pas sortie depuis longtemps pour cause d'emploi du temps bizarre de sa maman , a jailli de la voiture pour monter comme une flèche ... Tout à coup , au bord du chemin , sous un pin , je vois un , deux lactaires oranges .. en allant plus profond sous le couvert , dix , vingt .. Rien de tel pour tout oublier tout souci , dans mon cas .
En remontant dans la voiture , deux heures plus tard , avec un sac rempli de sanguins ( trop petit , le sac !) je me sentais l'esprit clair et une énergie nouvelle , invraisemblable . Qui perdure . Comme si la rivière , maintenant qu'un des biefs est fermé , empruntait avec vigueur et un enthousiasme tout neuf d'autres cours oubliés , des bras abandonnés depuis longtemps .
Pourtant , j'étais contente , toutes ces années , de faire tout ce que je pouvais pour maman ; si maladroite que j'ai pu être , quels que soient les personnes peu agréables qu'on ait pu rencontrer , elle et moi , depuis six ans , j'ai vraiment fait de mon mieux et je l'ai fait de bon coeur .
Mais , en étant honnête , force m'est de constater que j'ai beaucoup moins de chagrin que lors de la mort de Tata Lili - parce que Tata Lili m'aimait quoi que je fasse ; maman m'aimait sous conditions ... ( beaucoup de conditions ! impossible à les satisfaire toutes , le plus souvent ) . Et là , je ne me sens pas détruite comme au printemps 2009 .
Alors , merci infiniment , les filles , merci pour tous les messages amicaux que j'ai reçus et qui me touchent beaucoup . Mais , tant pis si ça choque : aujourd'hui , me rendant compte que je n'avais plus l'obligation de filer à toute vitesse le matin pour aller passer du temps avec maman à la maison de retraite après avoir nourri les chats , à foncer l'après-midi pour aller la promener pendant qu'il fait bon , le soir pour pouvoir être dans mon jardin avant le coucher du soleil .. En me rendant compte que le souci que j'avais , l'obligation permanente de penser à maman qu'on m'a apprise depuis que je suis née parce qu'elle était censée fragile et malheureuse , l'obligation de m'assurer de son bien-être , l'obligation de culpabiliser quand je partais ( sauf en Inde , trop loin !) - en voyant que tout ce qui sous-tendait une partie de ma vie depuis vingt ans , et la broyait depuis six mois n'existait plus ... j'ai passé toute la journée à pousser des grands soupirs de bien-être et de soulagement .
J'ai été au marché d'Uzés ; en passant devant le stand de vêtements pour " mémés " , j'ai pu chasser , d'un souffle ,la pensée qui montait d'ordinaire " plutôt que de t'offrir quelque chose pense à offrir un cadeau à maman .. " ; " tu te proménes , maman aurait été si heureuse que tu l'emmènes ... Que tu es égoïste ! tu ne penses qu'à toi ! tu ne fais aucun effort " .. toutes ces pensées d'arrière-plan .. ( des vieilles opinions de maman sur moi ) n'ont plus lieu d'être , il suffit de souffler dessus et elles s'en vont . Maman , je suis désolée , vraiment vraiment désolée , de n'avoir pas pu mieux t'aider , de ne pas avoir pu te faire vivre , tant bien que mal , dans ma maison de maintenant - comme tu l'as fait pour moi dans la tienne , tant bien que mal , quand j'étais enfant . Mais c'est la vie , et notre destin . OM !