C'était un des leitmotiv de ma maman , quand j'étais petite . Ou plutôt , à partir du moment où je suis rentrée en sixième ... à l'école primaire , mes parents avaient cru avoir affaire à une surdouée , musicienne de surcroit , qui leur aurait donné de la satisfaction .. mais à partir du lycée , le travail scolaire est devenu tellement oppressant , l'existence tellement accablante - pour une petitoune de deux ans plus jeune que la moyenne - que , tout au long de mes études , même l'année où j'ai obtenu le " prix d'excellence " , j'ai eu l'impression , la certitude , d'être une élève médiocre . Leitmotiv , de ma mère ; je n'avais aucun retour paternel pour équilibrer ; soit indifférence de la part de mon père , soit qu'il ait partagé cette opinion . Elle me disait encore ça quand j'étais en classe préparatoire aux grandes écoles .. Comment aurais-je protesté - c'était devenu une partie de moi-même .
Je vous parle de ça parce que ma petite belle fille , stagiaire pour devenir instit , m'a dit être scandalisée qu'une enseignante , censée lui servir de modèle , engueule une pitchounette de six ans , qu'a pas des résultats terribles en classe , en lui disant " tu n'arriveras jamais à rien " . Et moi aussi , ça m'a scandalisée , et m'a brisé le coeur ... je prie , très souvent , pour que la Shakti , ou Amma , ou ... ? s'occupe de cette petite fille ; que je ne connais pas , mais dont l'arrière -plan familial n'est , parait-il , pas très positif . Le regard compatissant de la stagiaire suffira t'il à l'aider à pousser droit ?
Je vous parle de ça aussi parce que , tout cet après-midi où j'ai travaillé au jardin , la pensée , le verdict d'autrefois , me trottait dans la tête . J'avais beau me dire " c'est le mental " , j'avais beau prendre grand plaisir à ce que je faisais - désherber , bêcher , brûler les branches mortes , amender la bonne terre en portant seau après seau du terreau léger qui provient du compost , splendide cette année - j'avais beau faire et faire , dans le jardin tout vivant qui s'éveille au printemps .. la pensée me trottait dans la tête , occupait tout l'espace . Même la découverte enthousiasmante que le romarin a marcotté , tout seul comme un grand , ne m'a tenu la tête hors de l'eau que quelques minutes .
Ou presque tout l'espace . Quelque part , dans un petit coin de ce cerveau , je sais que c'est juste de la pensée qui s'entortille . Je sais bien qu'on n'arrive jamais à rien .. Du berceau au tombeau , on n'arrive , forcément , jamais à rien , puisque notre nature profonde est : vide . Vide de classifications , vide de pensées ... et heureuse . ( Quel bonheur ça a été de prendre conscience de ça , il y a quelques années ! mais ça n'est pas une prise de conscience permanente .. ce que je regrette bien . )
Je me suis appuyée contre l'amandier en fleurs , un arbre amical qui a poussé tout seul ; je lui ai demandé s'il arrive à quelque chose , lui . Il arrive .. à vivre comme un amandier . Chouette , non ?