Ce matin , je me suis réveillée pensant avec nostalgie que les forsythias allaient bientôt faner . La nostalgie est un sentiment que j'évite de cultiver .. Mais ensuite , je rabâchais intérieurement , avec mélancolie , la supposée dernière phrase du premier chapitre des " Jeunes filles en fleurs " - phrase que je me citais , inexactement , d'ailleurs . Je la recopie ici : " Et comme la durée moyenne de la vie - la longévité relative - est beaucoup plus grande pour les souvenirs des sensations poétiques que pour ceux des souffrances du coeur , depuis si longtemps que se sont évanouis les chagrins que j'avais alors à cause de Gilberte , il leur a survécu , le plaisir que j'éprouve , chaque fois que je veux lire , en une sorte de cadran solaire , les minutes qu'il y a entre midi un quart et une heure , au mois de mai , à me revoir causant ainsi avec Mme Swann , sous son ombrelle , comme sous le reflet d'un berceau de glycines . " En fait , je ne me souvenais que de Madame Swann et de sa toilette mauve ; faut dire que Marcel passe au moins trois pages à décrire Odette Swann se promenant au Bois ... ce qui fait qu'en voyant que ce merveilleux chapitre se termine , on est saisi de panique , ayant tellement vécu de l'intérieur l'adolescence du narrateur ; saisi de l'immense , de la terrible mélancolie du temps passé . Lui , parle du plaisir de cette évocation - pour moi , c'est la tristesse qui domine . Ce temps qui ne reviendra plus jamais ..
Le goût de la confiture d'oranges sur le pain grillé , trempé dans le café-chicorée au lait du matin , m'a fait oublier la nostalgie .. Ensuite , il fallait célébrer le retour du soleil , absent depuis quelques siècles : j'ai passé le début de l'après-midi à jardiner avec bonheur . Il faisait déjà presque trop chaud , mais les touffes de chiendent s'arrachaient avec assez de facilité dans la terre humide . j'ai fait aussi , avec beaucoup de joie , un mauvais croquis de la série de pots de fleurs , dégagés des herbes hautes qui les masquaient . Puis , comme récréation , j'ai fait un tour du jardin avec l'appareil photo , félicitant les pommiers de leurs jolis petits bouquets de fleurs , me réjouissant de la récolte de pommes à venir ... J'ai terminé par la glycine . Elle commence à peine à fleurir , beaucoup de grappes sont encore des épis fermés , nacrés , avec des écailles transparentes comme une mue d'insecte . Quelques unes , tout en haut , s'ouvrent , laisse apparaître ce bleu- mauve tellement exquis ... Dés que j'arrête de lire les premiers tomes de Proust , mes préférés , j'en ai la nostalgie , comme s'il s'agissait de ce que j'ai moi-même vécu . Oh , les livres !