Les soirées sont douces , la lumière belle . Nous baby-sittons les deux aînés de Thomas , huit et treize ans . J'avais eu une terrible crise d'angoisse et de malaise la journée précédant leur arrivée . Le leitmotiv était du genre : " je suis complétement nulle et inutile avec les enfants " ; resucée de ce que je ressentais quand j'avais douze ou treize ans , et que , mes sœurs venant passer les vacances " en famille " avec leurs petits , je ne trouvais plus guère ma place ; puis , j'en avais enfin trouvé une , en aidant ma maman à faire la cuisine . Là , j'obtenais une certaine reconnaissance ... La dignité de la mère de famille , c'est de faire à manger pour tout le monde ... En tout cas , c'est ce que manifestait ma maman tous les étés , et qu'elle m'a légué . Résultat , moi qui mendiais de la considération , qui mendiais qu'on me voie , je me suis structurée comme quelqu'un qui fait la cuisine . Seulement , avec ces enfants-là , c'est pas gagné : ils n'aiment vraiment pas , mais alors pas du tout , ma cuisine !!!! Il faut les supplier pour manger des légumes ou des fruits ; surtout , ils semblent peu gourmands , presque indifférents à la nourriture ... Ce qui me fait prendre conscience de l'importance qu'elle a pour moi . Nourrir , manger ... Voilà toute cette structure du " moi" qui se morcelle , se délite , tombe en poussière ... ça n'est pas agréable , sur le moment .
( Et j'avais beau garder dans un petit coin de ma tête un soupçon d'ancrage dans cette réalité , qui fait que je vais avoir soixante-huit ans et donc que mes douze ans sont fort lointains , être quelque part consciente que c'était eux les enfants , non plus moi ... le malaise était vraiment tenace , et épais à couper au couteau , et solide ... )
Comme dit Mooji , on peut accepter de n'être , vraiment , rien .. nothing .
Ben , je suis gâtée , le Chemin me conduit en attirant ce qu'il faut pour évoluer , la Bonne Providence de Dieu m'a offert pile poil ce dont j'avais besoin ...
Finalement , c'est tombé tout seul .
Quelle importance , cette histoire de bouffe . J'ai jardiné une grande partie de la journée , pendant que Philippe , dont j'admire la façon d'être grand-père , les accompagnait pour faire de " l'accrobranche " ( moi , la terrienne , j'ai le vertige à un mètre cinquante du sol , les jambes qui tremblent et le cœur serré ) . Puis j'ai regardé Hermione faire jouer les gamins , à leur grand plaisir à tous . Hermione , la nounou parfaite ... elle se régale à les faire courir partout , trottinant négligemment , allégrement , sans vouloir lâcher la balle qu'elle tient dans sa gueule ; ils se régalent à lui courir après en poussant des cris . J'ai fait , pour me récompenser , le tour oisif du jardin où des taches de bleu commencent à apparaître - après le mauve des lilas , le bleu-mauve de la glycine , puis le bleu électrique des iris de Hollande ; et enfin , bien sur , tout en bas , l'outremer des bourraches étoilées au potager ...
Les soirées sont douces , la lumière belle . La fraîcheur est arrivée , nous sommes rentrés , nous avons joué avec eux à un jeu de société - un peu débile , mais qui a du succés avec les enfants . Tout va bien .