A Tiruvannamalai , où je devais rester deux semaines , j'avais demandé asile à l'ashram de Ramana Maharshi , le plus connu , et mon préféré ... Ils m'avaient répondu favorablement , par retour du courriel . Pour sept jours seulement , c'est , parait-il , la règle .
En arrivant , on me donne , dans un ensemble de bâtiments neufs , très jolis , entourés d'arbres , une chambre ; lumineuse , très grande , très propre , très monacale , donnant sur un joli balcon et des arbres - le rêve ...
Vouiiiiii . Mais , malheur ! Cette belle chambre , en fait , était à quelques mètres de la grand-route qui traverse Tiru et passe près de l'ashram . Et le trafic sur cette route ne s'arrête jamais ; or , l'Inde est un pays où les gens conduisent en klaxonnant un maximum , pour éviter d'écraser passants , chiens ou vaches ... La partie haute de l'immense porte-fenêtre ne se fermait jamais , et la moustiquaire qui l'obstruait avait surement un trou ... Un seul , pas grand , mais ça suffit ...
Au bout de quelques jours , je commençais à être épuisée par les nuits de sommeil haché , grincements des freins des camions , coups de klaxon , les moteurs qui passent une vitesse avec énergie - et toujours un moustique , au moins ... J'avais l'impression de dormir sur la chaussée . Heureusement , le gentil Babu , qui tient une boutique Café Internet -Taxis- Rooms , presque à l'angle de la rue qui mène à la poste , m'avait promis de me trouver une autre chambre ; l'air de dire que rien n'était plus facile . Une chambre tranquille ... Mais quand je me suis pointée pour visiter ladite chambre , visite que je lui avais annoncée la veille encore - le gars qui tenait la boutique ( et qui n'était pas Babu ... mais qui lui ressemblait comme un frère un peu plus âgé ) a pris l'air étonné et horrifié . Une chambre ? Quelle idée ? Comment ,mais vous n'y pensez pas , demain c'est la Pleine Lune et toute l'Inde se retrouve à Tiru pour faire le tour de la montagne et célébrer l'événement ... ( et , bien sur , il avait raison : les soirs de Pleine Lune , une folie s'empare des pèlerins , qui sont dégorgés par cars entiers , et partent joyeusement , bruyamment , faire le tour d'Arunachala , pieds nus ou pas , répandant libéralement sur leur passage verres plastiques vides , emballages de biscuits , bouteilles d'eau , peaux de banane , et tout ce qu'on veut ... )
Les premières secondes de choc passées , j'ai explosé . En plus , il me fallait bien une chambre puisque j'étais à la rue le lendemain .. les indiens n'aiment pas du tout qu'on les engueule , et encore moins quand c'est une acariâtre vieille femme occidentale qui s'en charge . Le collègue de Babu était fort mal à l'aise , mais s'accrochait à sa version , comme s'il n'était pas du tout au courant ( ce qui , je l'ai compris plus tard , était bien le cas ) , et moi , je continuais à brailler tant et plus - ça soulage ... Enfin est arrivé Babu , l'air penaud .. Il avait , bien entendu , complétement oublié sa promesse .
C'est alors qu'un français ( directement envoyé par le Seigneur d' Arunachala ! ) , qui , probablement , n'arrivait pas à travailler sur internet à cause du vacarme de la dispute , a émergé de son écran pour dire : vous cherchez une chambre ? mais il y en a une de disponible tout près ,en bas de la rue ; c'est une vieille dame qui les loue ... J'ai couru . Oui , il y avait bien une vieille dame , oui , il y avait une chambre disponible - et quelle chambre ! J'en ai eu les larmes aux yeux de soulagement : une chambre propre , même coquette ; absolument calme , avec des murs blancs , vraiment blancs pour notre œil occidental à l'affut des taches suspectes qui agrémentent en général les chambres indiennes ; des placards impeccables ; une chambre , certes minuscule, mais j'étais seule ; avec une plaque de marbre faisant bureau , scellée dans l'embrasure de la fenêtre , fenêtre que je pouvais laisser ouverte toute la nuit , une grande fenêtre munie d'une moustiquaire sans le moindre trou , une petite salle de bains ... la vieille dame était , comme l'avait dit le locataire , très gentille ; et j'ai seulement regretté qu'elle ne parle pas anglais . Une chambre au paradis ! et le prix ? Trois cent roupies seulement . Je m'attendais à dix fois plus ...
Ce Paradis donnait sur l' ashram , bien moins fréquenté que celui de Ramana , de Yogi Ramsumatkumar . Plusieurs saddhus en orange dormaient chaque nuit , tranquillement , dans la ruelle . Certains lisaient ou écrivaient ; ils acceptaient gracieusement l'aumône quand elle leur était faite , mais ne s'offusquaient pas si je n'avais rien à leur donner . Dans la maison de la vieille dame , un autre saddhu faisait office de concierge de nuit : chaque soir , il déroulait sa literie sous l'escalier de marbre et s'endormait - du sommeil du juste , certainement ... - et ne s'affolait pas quand je le réveillait en partant à six heures du matin ...
Petit à petit , au cours de la semaine qui a suivi , j'ai un peu vu comment fonctionnait ce quartier tranquille , presque petit-bourgeois , de petites maisons aux jardinets hyper entretenus , séparées par des ruelles proprettes , fréquentées par quelques pèlerins , des vaches bien portantes et des chiens calmes . Un parfum d'autrefois , une harmonie qui disparaît au profit de l'infernal trafic de la ville ... Le matin , vers les cinq - six heures , les femmes commencent à balayer intérieur et extérieur ; le jour de la pleine lune , partout des kolams tout frais devant les portails ... ( mon atelier de chant commençait à six heures et demie , mais une ou deux fois j'étais si fatiguée que j'ai triché et suis partie plus tard ). Vers six heures et demie , sept heures , on entend un klaxon : c'est la moto du lait qui passe , chargée d'une grosse boille ; les habitants sortent sur le pas de leur porte , avec un récipient vide dans les bras ; le laitier leur mesure le lait tout frais qui mousse ... des petits feux s'allument dans les cours , la matinée commence . Une ou deux épiceries ; un repasseur qui prenait 7 roupies par vêtement repassé , avec un gros fer garni de charbons rougeoyants ( le tarif me paraissait si faible que j'ai multiplié par cinq , le nombres de vêtements que je lui avais donné , la somme qu'il me demandait . Je ne me suis rendu compte qu'après qu'il m'avait bien donné le total ... . )
Eh ben , si je retourne à Tiru , je sais où je chercherai à me loger ...
je n'ai pris les photos que l'après-midi , à l'heure de la sieste , et le jour de mon départ . Pour les kolams , il faut que je revienne l'année prochaine , la semaine de la pleine lune