Au début , la lecture était un peu ennuyeuse - tous ces comptes hyper précis au cent près , pour montrer qu'il n'avait dépensé que presque rien en construisant sa maison , et que ce style de vie lui coûtait fort peu ... - et je me disais que ce type semblait bien peu sensuel , j'attendais , impatiemment , qu'il se mette à faire des descriptions de la nature environnante qui m'auraient enchantée ; puis quand je lisais des citations de ce genre :
" Nous avons construit une demeure de famille pour ce monde ; pour le suivant , un caveau de famille . Les plus belles oeuvres d'art sont l'expression du combat que l'homme livre pour se libérer de cette co ndition , mais notre art n'a pas d'autre effet que de rendre ces viles circonstances confortables , et oubliable la possibilité d'un état plus élevé "
, je proférais , intérieurement un pffffffff .... agacé en supposant que c'était un intellectuel trois cent pour cent et qu'il ne m'intéresserait que médiocrement , malgré son humour .
Ensuite , j'ai été fort étonnée de voir qu'il faisait allusion des textes indiens connus ( en 1852 ! ça alors ! ) et autant inconnus de moi ( Harivansa )
Puis , après plus d'une centaine de pages lues cahin-caha , et je me laisse toujours le droit de sauter quand ça m'ennuie , l'émerveillement de découvertes comme des perles de lumière ; de phrases qui rayonnent doucement dans le sous-bois une peu morne de la lecture , comme lorsqu'on trouve les premières chanterelles à demi-cachées sous les feuilles de chêne brunes et grises de l'automne , qui m'ont fait ronronner de satisfaction ravie :
" Il est bon d'avoir de l'eau dans votre voisinage , pour faire flotter les terres environnantes . Même le plus humble des puits a ceci d'intéressant qu'en y plongeant votre regard vous pouvez voir que la terre n'est pas continentale , mais insulaire .C'est une qualité des puits aussi importante que la capacité qu'ils ont à garder votre beurre bien au frais . Lorsque je regardais par delà l'étang depuis ce promontoire en direction des prairies de Sudbury , qu'en temps d'inondation je voyais , peut-être par mirage , comme surélevées dans leur vallée frémissante , comme une pièce de monnaie au fond d'une bassine , toute la terre qui s'étirait au delà de l'étang m'apparaissait comme une fine croûte encerclée , et peut-être même sustentée , par cette petite nappe d'eau interstitielle , et cela me rappelait que le sol sur lequel je me tenais n'étais guère plus qu'une portion de terres émergées . "
Et voilà ... je suis arrivée , hier soir , à la page 131 , émerveillée par :
" Le premier été , je ne lus aucun livre - je sarclai mes haricots . Que dis-je ? je fis souvent mieux que ça . Il y eut des moments où je ne pouvais me permettre de sacrifier l'éclat de l'instant présent à aucun type de travail , qu'il fut intellectuel ou manuel . J'aime vivre ma vie avec beaucoup de marge . "
Et j'en suis là pour l'instant . Parce que , et tellement , et tout le temps ... - moi aussi , et tellement , et je retrouve ça au fur et à mesure que je vieillis et grandis , j'aime vivre ma vie avec beaucoup de marge !