Nous sommes rentrés à la maison hier , au début de l'après-midi - après deux semaines de vacances ; deux semaines oisives , ou presque ( je compte pour du beurre les heures passées à couper avec enthousiasme les ronces vigoureuses , à arracher les orties , dans le jardin normand de Thomas ... ) . Deux semaines à balader sans obligation , à s'émerveiller d'un reflet de lumière gris perle sur la Loire ou sur la mer , du profil d'un ange sur le tympan d'une cathédrale ... deux semaines festives , qui se sont terminées par une nuit passée dans un endroit que j'aime , une chambre d'hôte conviviale d'un hameau encore relativement préservé , où les grosses maisons grises me rappellent le Feigères de mon enfance .
Contents de rentrer , certes ... Mais , oh mon Dieu , le jardin ! Le jardin , laissé quinze jours sans entretien , est une jungle où les roses fanées de la bonne centaine de rosiers qui s'y pressent - d'accord , je les ai plantés de mes mains , tous ! depuis quinze ans , et j'ai été dingue d'en mettre tant , et puis je n'ai jamais réussi à les compter - lesroses fanées , donc , s’élèvent vers le ciel en hurlant misère ( j'avais pourtant cru les couper toutes , après floraison et juste avant notre départ ... ) . Quant au potager , malheur ... Au potager : les pieds-d'alouette ont tout envahi de leur marée bleu d'outremer ( bleu d'outremer , bleu d'outremère ? ma maman aussi envahissait ... ) , agréablement ponctuée de deux ou trois touches de rose ( parce que parmi les bleus il y en a toujours un ou deux de roses , c'est joli faut dire ! ) . Tant de pieds d'alouette ... Ils ont étouffé les tomates , étouffé les poivrons , étouffé les aubergines , étouffé les pois gourmands qui restaient ... Si bien qu'hier soir , malgré ma résolution de ne jardiner que petit à petit , à dose homéopathique , pour tenter de me maintenir dans cet heureux état d'oisiveté et de vacance ... hier soir , je me suis retrouvée debout jusqu'aux épaules dans les pieds d'alouette , en train de couper les tiges prêtes à grainer , et en proie à une énorme crise de découragement ( ce jardin est monstrueux , c'est trop , c'est trop ... trop de travail , trop de plantes , trop de mauvaises herbes , trop de tout ... ) . Même la vision des bourdons et des abeilles chantonnant gentiment dans la lavande ( cette lavande , je l'ai mise au potager parce qu'elle s'étiolait dans un autre coin du jardin . Mais au potager , toute proche de l'arrosage automatique , elle a tellement poussé qu'elle occupe trois bons mètres cubes . Vous avez déjà vu ça , vous , une lavande monstrueuse de trois mètres cubes ? Mais oui , bien sur , elle sent bon ... ) , donc , même cette vision ne réussissait pas à me remonter le moral . C'est dit , je déménage ... et dans le Nord , si possible , je n'aurai pas à m'inquiéter de l'arrosage ...
Et c'est à ce moment là , au fond du fond de mon trou personnel , que j'ai vu arriver le premier sphinx colibri de l'été . Tout duveteux , tout pataud , tout follement léger et butineur , buvant le nectar dans chaque fleur bleue de chaque pied-d'alouette ... Je le sais bien , que les sphinx colibris aiment par dessus tout ces fleurs là . C'est même pour ça que je les ai laissés pousser ...
La déprime est passée - à quatre-vingt pour cent , et je me débrouille , comme d'hab , avec les vingt pour cent restant ... - parce que j'ai compris que je travaillais au moins pour quelqu'un . J'ai cueilli un bouquet pour mettre dans l'entrée - trop encombrant , bien sur ! un bouquet bleu d'Outremer , avec deux touches de rose ; j'ai coupé deux salades enfouies tout en bas des hautes tiges de pieds-d'alouette ( miracle ! les " merveilles des quatre saisons " ne sont pas montées en graines ... ) pour le repas du soir ; et je me suis dit que j'avais un prarabdha karma de jardinière , même si je ne jardine que pour un seul sphinx colibri ; tout comme ce sphinx colibri particulier a un prarabdha karma de sphinx colibri .. et il n'a qu'à l'accomplir vaille que vaille . J'ai vidé la poubelle pleine de mauvaises herbes sur le compost , et je suis redescendue pour arroser les menthes ...