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Pendant que j'étais à Avignon , je parlais à mon amie Renée ( Quatre-vingt-onze ans ; et elle n'y voit plus . En tout cas plus assez pour lire , plus assez pour écrire , et certainement plus assez pour pouvoir regarder des cartes postales . Ce qui fait que je tente , de mon mieux , de lui décrire des tableaux qui l'auraient enthousiasmée , si elle avait pu les voir , puisque c'est en prenant des cours aux Beaux-Arts qu'on s'est connues , et j'en remercie Dieu .) - je lui parlais , donc , des œuvres de Séraphine que j'ai pu voir . Je lui expliquais , aussi , que la plupart du temps , quand Séraphine peint un arbre , les racines ne sont pas peintes : l'arbre semble naître à partir d'une zone un peu ronde , - un véritable nid de plumes et de feuilles .
Un nid . Quel enchantement .
Pourtant , c'est tellement étranger à ma propre façon de dessiner des arbres : je me débrouille toujours pour esquisser , au minimum , un bon système racinaire . Je suppose que c'est en relation avec à ma façon à moi d'être reliée à la terre , ou de me sentir en sécurité .
Ou alors , ça a peut-être à voir avec l'enfance . En tout cas , comme ( c'est assez connu ! ) , quand on dessine un arbre , on se dessine soi , moi , en tant que peintre , j'ai besoin d'indiquer que mes arbres sont reliés à la Terre .
Et alors , dans le tableau de Séraphine ... Cet arbre qui nait d'un nid , ça me touchait - je n'avais pas envie de rejeter , comme j'aurais fait il y a quelques années . Mais ça me faisait penser à la genèse d'un arbre . A la genèse de toute vie .. Qui nait , d'un nid - ou d'une graine - ou de rien . Bref , ça me faisait l'effet d'un koan ... D'où vient un arbre de vie ?
Mais , en regardant d'autres tableaux , que j'aime un peu moins - des bouquets - leur base est quelquefois comme cerclée de cordes noires , ou de ferrailles , qui font penser au cerclage d'un tonneau . Dans le tableau que j'ai reproduit au dessus , ce sont , des cordes , et elles ne sont pas noires . Pourtant , même ainsi , ça n'est pas agréable . Oui , je sais , on pourrait dire que c'est un bouquet attaché avec une ficelle . Je fais ça , moi aussi , quand je cueille de gros bouquets de verveine pour les faire sécher .Mais , dans le bouquet du dessous , on se demande ce que ces vilains cercles noirs viennent fiche dans le merveilleux bouquet de fruits . Et pointe alors le bout du nez d'une interprétation - c'est quoi , ces liens noirs ? Est-ce que ça à voir avec son passé ? ou son présent quand elle a peint ? - en tout cas , je le ressens comme le fait d'être coincé , enserré , entravé , ligoté , emprisonné ... Au secours !
Cependant , ça n'empêche pas le bouquet miraculeux et foisonnant d'éclore . Le regard va et vient , de la floraison éclatante aux liens ... Pourtant .... Est-ce à cause de ces cordes noires , de ces entraves mortifères que Séraphine , enfermée pendant les vingt ans de sa fin de vie dans un asile d'aliénés , n'a plus jamais touché un pinceau à partir du moment où elle a été enfermée - enfermée avec les démons qui nourrissaient son ombre ? Allons , je préfère terminer en regardant à nouveau la reproduction de cet " arbre de vie" .. un chouïa coupé de la terre , certes , (on dirait un peu qu'on lui a coupé l'herbe sous les pieds ) mais qui semble , tout de même , naître d'un douillet enchevêtrement - plumes ou feuilles , on ne sait pas trop ; regarder , et revivre le miracle de la naissance de cet arbre , et de toute vie .
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