Je me réveille , sans comprendre qu'on est encore au milieu de la nuit tant elle est claire .. L'impression que tout le centre de ma poitrine est enserré dans une gangue de tristesse - un véritable faisceau de tendons , épais , élastique , résistant , de fils quasi organiques , de déprime et de cafard ...
Je m'assieds un bon moment sur le canapé , confortablement mais le dos droit - sans laisser tourner les pensées dépressives , mais me contentant de rester avec la sensation ; tout en cherchant vaguement ce qui , dans ma journée passée à Avignon , a pu occasionner une telle tristesse , et ne le trouvant que trop ... Peut-être seulement tout le regret du temps où la maison d'Avignon était pleine de monde , où mon amie était jeune et gaie , où tous les gens que je connaissais étaient jeunes et - de ce fait , forcément - pleins d'espoir parce que la vie était à venir ...
Bah ! Je suis certaine qu'on doit pouvoir vieillir gaiement . D'instant en instant . Même en attendant la mort . Et même si je ne ressens rien de tel en cet instant . Du coup , je me lève , car je me souviens que je voulais vous copier un peu de la préface des Editions Moundarren à l'édition des Haïkus d'hiver ; préface que j'ai trouvée d'une beauté incroyable , l'autre jour :
[...] Mais n'est-ce pas là la prodigieuse vertu de la poésie et de l'expérience poétique de faire fi du temps et même de l'espace ? Quand le passage du temps n'est plus vécu comme linéarité mais comme profondeur , là réside l'extraordinaire compréhension du monde . [ ici une citation de Yang Wan li (1127-1206 ) , poète , qui , lui , n'est pas japonais mais chinois et au fait les poèmes de Yang Wan li , toujours aux éditions Moundarren , sont super chouettes aussi ] . C'est ce printemps poétique au cœur de l'hiver , ce feu au cœur de la neige , qui animent les poèmes rassemblés dans cet ouvrage . L'hiver ,c 'est à dire le givre sur lequel la canne dessine le mont Fuji , la pluie dont le bruit sur un parapluie s'arrête chez le voisin , la neige qui rend le chant du coq plus lointain , la fin de l'année en ce monde flottant . Cette année , oui même cette année , tourne à sa fin .
réclusion hivernale
de nouveau je m'adosse
au pilier
écrit Basho . En hiver plus qu'en toute autre saison , nous sommes conviés à avoir le talent de saisir le merveilleux au cœur de l'ordinaire .
Moundarren , Hiver 1990
C'est surtout cette dernière phrase que je trouve magique . " En hiver , plus qu'en toute autre saison , nous sommes conviés à avoir le talent de saisir le merveilleux au cœur de l'ordinaire ."
Allez , je retourne sur le canapé - je vous laisse , j'ai rendez-vous avec mon cœur ...
se réveiller vivant en ce monde ,
quelle joie !
la pluie d'hiver
Shoha ( ? - 1771 )