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Mes regrettés parents avaient un genre de folie des grandeurs ... ils adoraient les sommets et les hauteurs . Au sens propre ; et au sens figuré ... Foin de hautes réalisations financières ou politiques , que leur bon sens paysan méprisait avec énergie - mais les diplômes universitaires , ah ! les diplômes ... et les randonnées , ah ! les grandes randonnées ...
Si bien que , totalement épuisée par ces exigences , entre trente--cinq et quarante-cinq ans j'ai du apprendre , studieusement , à ne pas forcément terminer tout ce que j'avais commencé , à tenir compte de ma fatigue , de mes limites , à m'arrêter souvent à mi-pente pour regarder le paysage , et à trouver autant de joie dans les petites réalisations que dans les grandes . Ma paresse native ( est-elle associée à mon signe de naissance ? ) m'y a , certes , grandement aidée .
Un coup de téléphone à ma voisine - toujours bon pied bon œil à plus de quatre-vingt dix ans , malgré les douleurs de l'âge , un moral plutôt tonique et courageux , du yoga tous les matins ( j'aimerais bien lui ressembler , dans vingt ans ! ) - et qui termine toujours tout ce qu'elle a commencé , elle ! m'a fait comprendre , hier soir , que je passais à côté de sommets vertigineux : l'Histoire avec un grand H nous est tombée dessus , et je ne m'en étais même pas aperçu . Pourtant , les médias se donnent du mal pour nous le faire comprendre !
Je l'avais appelée ( je sais qu'elle se sent souvent seule , bien qu'elle continue à conduire , et que ses fils l'appellent - mais de loin , de si loin ! - au téléphone assez souvent ) pour lui proposer de passer la voir ce Dimanche ; et je lui ai demandé , innocemment , à quelle heure elle allait voter , parce que je sais aussi qu'elle y va à chaque scrutin . En plus , ça lui fait une sortie bienvenue ... tant qu'elle peut conduire . Elle a été stupéfaite , presque indignée , de la naïveté de ma question . " Mais je n'irai pas voter ! je reste chez moi ! " et de m'expliquer les dernières consignes et conseils de la mairie , ou de son pharmacien chez qui elle s'était imprudemment risquée hier , et qui l'en a réprimandée , ou de la télé ... A son âge , il faut qu'elle reste chez elle , plus de sortie , plus de courses .. jusqu'à nouvel ordre . Bon !
Je lui ai proposé de passer tout de même la voir en fin de matinée , lui disant qu'on pourrait rester à un mètre l'une de l'autre dans le jardin ... Elle était tout à fait d'accord . Mais son étonnement , tout d'abord , m'a fait comprendre que je ratais quelque chose . Comment comment ! Je suis en train de vivre - et vous aussi , d'ailleurs ! - une Grande Période de l'Histoire , la Grande Pandémie de l'année 2020 , et je ne m'en étais même pas rendu compte ! Philippe m'a fait remarquer qu'il était arrivé la même chose à Fabrice Del Dongo , arrivant un peu tard sur le champ de bataille . Voui , mais ça l'a rendu célèbre , lui ... Donc , me voilà restant à mi-pente , alors que je pourrais avoir la chance de vivre vertigineusement , au sein de la Grande Pandémie , de la Grande Peur ...
Eh oui , vivant à la campagne comme je fais , me contentant de petites balades , de petites peintures , de petit jardinage , je me contente de vivre mon histoire . Instant après instant , jour après jour . Et si on tombe malade , on verra bien . Et si on meurt , on verra bien ... Tout viendra à son heure . On va pas s'exciter pour autant .
Tiens , on a fait une jolie petite promenade hier , à partir de la cave coopérative de Durfort ... jusqu'à Villesèque ,et retour , même pour des retraités musardant comme nous , ou cueillant les asperges sauvages comme moi en zigzaguant ça ne fait pas deux heures . Quelle chance on a !
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