Je me suis réveillée en chantant dans ma tête une phrase d'un mantra de plusieurs vers , que Dîpa nous fait psalmodier en fin de session , et qu'Hélène et moi avons psalmodié Samedi dernier ensemble :
madhvir gavo bhavantu nah
Je m'étais endormie en colère contre Philippe , et contre moi . Contre moi d'abord : les deux premiers soirs où G. est venue dormir à la maison , G. et moi avons occupé le salon - devant la cheminée , regardant chaque fois un film à la télévision ; films que nous avions envie de regarder , d'ailleurs , mais pas Philippe . Mais après , il m'a dit à quel point il trouvait désagréable de voir ma copine vautrée sur le canapé , à sa place , c'est à dire la place où lui s'assied habituellement . Comme il est toujours fatigué et cardiaque , je fais attention à le ménager ...
Pourtant , la copine est extrêmement discrète : sa chambre est en bas ( nous avons l'étage pour nous deux ) , et elle part bien avant l'aube chaque matin sans le moindre bruit , reprenant sa voiture pour aller chez elle - promener et nourrir son chien resté à la maison , dont son mari ne s'occupe plus du tout . Je le connais ,ce chien ,d 'ailleurs , il est gentil comme tout ... Même avec le dressage terrible et sadique ( m'a t-il semblé . Mais je ne dresse pas de chien pour les concours . ) que le mari lui a fait subir pour qu'il devienne un chien féroce ... diplômes d'excellence à l'appui !
Le soir suivant , G n'est pas venue ; elle est venue le soir d'après . Nous avons bavardé devant une tisane , dans la cuisine du haut ; j'étais fatiguée , et j'ai voulu me coucher tôt . En fait , c'était parce que je n'arrivais à me dégager de ses émotions à elle , qui me rendaient terriblement triste et anxieuse .
Encore une soirée vacances , sans elle ... elle arrivait à la maison , le soir , épuisée , déprimée , défaite , quand elle avait passé la nuit chez elle . La seule soirée où je l'ai vu gaie , paisible , comme avant ... ( comme avant la mort de leur fils . Comme avant toute cette horrible histoire de divorce ... ) - ça a été la fois où elle avait dormi chez nous , la veille . Deux nuits consécutives ... Autrement , elle m'avait confié passer une partie de la nuit dans sa voiture avant d'oser rentrer chez elle ... Le mari la fait suivre , pensant qu'elle a un amant - etc ... .
Ce Lundi matin , au réveil , moi j'avais vraiment compris comment me dégager de ce que sa présence , et ses difficultés actuelles , pouvaient avoir de vampirisant - en lui proposant une méditation le soir , au lieu de discuter sans fin , tournant en rond . Je le lui ai dit au téléphone , et elle m'a répondu tout de suite " je n'ai pas osé te le proposer , j'attendais que tu le fasses ! " .
Seulement , voilà ... ce même Lundi matin , Philippe , à qui je demandais ( pour la forme !) si G. pouvait dormir une autre nuit à la maison sans que cela le gêne , a dit : "d'accord , mais c'est terminé , ensuite " . Allons bon ! J'étais persuadée que , puisque j'arriverais à rendre la présence de ma copine hyper légère , pour lui, ainsi que je me l'imaginais , comme pour moi , il n'allait plus s'en préoccuper ni s'en sentir mal . Lundi soir , elle arrive , le visage défait , et tellement fatiguée - je propose alors de commencer tout de suite une méditation .
Or , pendant cette méditation , dans la pénombre douce de la pièce de yoga , avec juste deux bougies éclairant les petites photos des maîtres spirituels qui me soutiennent , - une méditation assise dans le style qui se pratiquait à l 'ashram d'Arnaud Desjardins : en se concentrant sur la respiration , notamment abdominale ... - je me suis sentie tellement bien , que je n'arrivais plus à en sortir , elle a duré assez longtemps . Ensuite , je suis sortie de la pièce ; j'ai fait une tisane dans la cuisine du bas , suggérant à ma copine, à moitié endormie , de sortir doucement de méditation ; j'ai bu ma tisane , lentement , lui ai laissé la sienne - et suis partie me coucher . Le lendemain , Mardi matin , elle est partie à l'aube encore . Je lui ai envoyé un petit mail , suis partie à Uzés un peu plus tard . Elle m'a répondu , la pauvrette , en me remerciant avec effusion de l'accueil et du fait d'avoir bien dormi .. Enfin .
Au retour , qu'est-ce que je vois ? Le Philippe , gai et énergique , avait complètement défait les draps dans la chambre d'amis , les fenêtres grandes ouvertes , la chambre glaciale , et , certes , bien aérée ... " son parfum se sentait partout " . C'est vrai : ma copine met trop de parfum en général , et Philippe , je l'ai toujours connu détestant certains parfums du commerce ,si élaborés qu'ils puissent être ; puis , dans sa détresse , elle s'est mise à fumer , et ça se sent aussi ... Mais j'aurais tellement voulu lui proposer un accueil ouvert dans notre maison , un genre de nid pour se ressourcer ... Je m'en veux terriblement - conne que je suis ! si je ne lui avais pas proposé de regarder la télévision l'autre soir , si j'avais tout de suite proposé de méditer chaque soir dans la pièce du bas , Philippe ne se serait pas senti envahi , etc , etc ..
En même temps , je sais que ce genre de pensée ( " si j'avais ... " , "si je n'avais pas ..." , " si ..." ) est stérile et stupide . En adoptant l'optique de la Bhagavad Gîta , je pourrais dire que Dieu m'a conduite à lui proposer de rester au salon devant la télé les deux premiers soirs , etc ... . Seulement , cette optique n'est pas à 100% la mienne en cet instant , car je suis encore , au fond de moi , convaincue - en partie ? - qu'il y a un je , que je suis l'auteur de mes actions . Du moins , en cet instant amer .
Ce matin ... Je n'en veux plus à Philippe ; mais me sens encore très triste . Comment s'est passé le départ du mari de ma copine , prévu hier ? Est-il parti vraiment ? Comment va-t-elle ?
En tout cas , je sais que j'ai grandi . Je ne méditais que le matin - je vais maintenant méditer également le soir . Temps de travailler un peu plus de détachement bienheureux ... pour pouvoir être un peu plus utile à quelque chose .