Ouf ... petite promenade à Nice ,visite à maman , et début des démarches pour mettre Tata Lili en tutelle ( comme je vous ai raconté elle s'est pas mal désinvestie du quotidien ,et s'autorise de temps en temps des digressions mentales en tous genres ... ) C'est moi qui devrais être responsable de la tutelle , ce qui me touche beaucoup , le genre de responsabilité dont je me sens fière , ceci dit c'est une charge aussi . Il parait qu'il faut tenir des comptes impeccables ... Mes soeurs et maman sont d'accord , ( pour maman , c'est normal , parce que j'avais cinq ans lorsqu'elle m'a chargée de me sentir responsable des aléas émotionnels de Tata , c'était un peu jeune , mais bof ... c'est mon karma ) .
La surprise vient de maman , installée pour un séjour dans une maison de retraite à Cagnes , parce que mes soeurs auraient voulu qu'elle aille dans une maison de repos pour convalescence - avec , sous-jacent , le désir de la caser le plus longtemps possible . Quand je suis arrivée , j'ai traversé le hall avec plein de petits vieux et surtout vieilles dames , pas très reluisants pour la plupart dans leur fauteuils roulants , certaines dormant avec la tête affalée sur le sternum , d'autres attendant on ne sait qui ou quoi ... maman était dans sa chambre pour une sieste , mais paraissait plutôt en forme pour une rescapée de " décompensation cardiaque " grave ; un peu fatiguée mais bonne mine . Je suis redescendue chercher un vase pour les dahlias que j'avais cueillis au jardin avant de partir , j'ai demandé la permission de faire rentrer Anaïs , je me disais que ça leur ferait de la distraction aux petits vieux , maman , elle , s'en fiche du chien ; je suis remontée , j'ai bavardé avec maman une petite heure , lui ai glissé qu'elle ne restait là que le temps qu'elle déciderait , et puis comme on la levait j'ai proposé de descendre avec elle dans le " salon " ; je me suis rendue compte que , des deux dames avec lesquelles j'avais entamé une petite causette concernant ma labradorette ( n'ayez pas peur , elle est très gentille , etc ... ) l'une se refermait comme une huître quand j'ai approché le fauteuil roulant de maman - comme j'aurais fait , peut-être . Et l'autre devait avoir une maladie d'Alzheimer assez prononcée ,parce qu'elle oubliait toutes les cinq minutes ce qu'on venait de lui dire , elle m'a demandé au moins vingt fois le nom du chien ,puis écouté avec ravissement la réponse , chaque fois .Ce qui s'appelle vivre dans l'instant présent . Et puis je suis partie , laissant maman là , à peine on était sur l'autoroute direction Nice que je me suis reprochée de ne pas avoir été lui chercher un gilet , elle qui a tout le temps trop froid ,ou trop chaud , elle n'avait qu'un T-shirt et un pantalon léger . Ensuite , arrivée à Nice , je parle avec Tata , avec Monika , avec l'infirmière , et j'oublie le gilet ... nuit pénible , Tata respire bruyamment , je crois que sa bronchite n'est pas terminée , Phil ronfle , Anaïs ronfle , je me perds dans les méandres proustiens pendant que Marcel conte tout au long comment il étrangle et étouffe son bel amour prisonnier ... faut dire que c'était mal barré , quand à la fin du Côté de Guermantes on voit comment cet amour , qu'il croyait moribond , ressuscite brusquement dès qu'il apprend qu'Albertine aime probablement les femmes ... c'est curieux . (Rappelez moi de vous reparler de l'aspect burlesque dans le Côté de Guermantes , auquel j'ai déjà fait allusion , c'est Phil qui me l'avait fait remarquer , il y a longtemps )
Le lendemain matin , démarches à la Poste , au Tribunal chercher les imprimés pour la tutelle , j'essaie vainement de voir le médecin de maman et tata pour avoir son avis , j'essaie tout aussi vainement de faire déranger un quelconque de la liste d'experts psychiatres pour qu'il aille voir Tata qui ne peut se déplacer , etc ... pour finir on ne part de Nice qu'à quatre heures , je me demande comment je vais trouver ma mère ... plusieurs fois dans l'après-midi , j'ai essayé de lui téléphoner , et sa ligne sonnait occuppée , j'ai fini par appeler l'accueil , on m'a dit que maman était à " l'atelier " . Bon , tant mieux si elle participe à un atelier ... si elle pouvait ne pas trop se déplaire ... j'ai entassé dans une valise tout ce à quoi je pouvais penser de lainages , T-shirts , chemises de nuit , ..parce que vous savez , maman est fragile ... j'arrive à la maison de retraite , le salon plein de petits vieux encore , pas plus reluisants que la veille , je demande où est maman , elle est tout au fond de la pièce , je ne l'ai pas reconnue tout de suite parce que quelqu'un l'a coiffée avec une raie sur le côté - ça lui va bien , plutôt - et je la trouve toute gaie et pimpante , l'atelier " mémoire" était passionnant , elle a brillé - naturellement - , elle s'est déjà fait des copines , me dit qu'on mange bien ( elle que j'ai toujours connue l'estomac sensible et grognassou , qui digère mal ceci ou celà et patin-couffin d'habitude et peut ensuite m'horrifier en me racontant ses digestions dans le détail ... ) , qu'il y a notamment un monsieur très drôle ( je vois le monsieur dans sa chaise roulante ) ... ah ben ça alors ... ah ben ça ....
ce soir , je la rappelle , elle est toujours contente , elle est allée à l'atelier " couture " , elle n'y voit pas assez bien pour coudre mais les autres dames sont sympas ...
Eh ben , quel soulagement ! et puis c'est une leçon pour moi ... ne pas juger .. ne pas juger ... je le sais bien que maman est sociable , mais j'imaginais le pire avec cette maison de retraite ... en tout cas je vais aller lui acheter une nouvelle robe chasuble , chez Damart pas moins , pour qu'elle puisse faire la belle et draguer si elle en a envie ... voilà , bonne soirée , portez vous bien ! je suis toute contente aussi ce soir ...