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4 avril 2009 6 04 /04 /avril /2009 06:58

     Elle était la maison des vacances , la Maison . J'y ai été malheureuse comme les pierres dans mon adolescence , à force d'ennui terrible et de terrible solitude -au- milieu- des -autres , ( mes soeurs , ayant une grande différence d'âge , se sont trouvées y amener leurs épouvantables jeunes maris , leurs horribles  bébés , leurs grandes difficultés de jeunes mères ) . Mais , avec ses murs épais passés à la chaux  , ses multiples chambres dont plusieurs s'ouvraient sur un large panorama campagnard -  l'une s'appelait la chambre de l' hirondelle parce qu'un nid y avait trouvé place lorsque ma famille y avait emménagé - son couloir dont une branche dissimulée partait impromptue vers le deuxième étage ; avec sa grange immense , son écurie qui ne contenait plus de chevaux ou de vaches mais un tas de charbon et l'atelier de papa , bricoleur poétique et quelquefois hasardeux ; avec son potager que papa travaillait tous les matins d'été , avec son immense verger de pommiers et de poiriers ... elle incarnait un rêve : rêve  d'une famille unie , d'un refuge qui rassemblerait tous les enfants et petits -enfants ; rêve de ma mère autoritaire et soumise , de mon père  impérieux , nuageux et maladroit , qui en avait hérité .
       Quand est-ce que la destruction a commencé ? je l'ai ressentie très vivement quand ma soeur-du-milieu  , héritière par sa marraine de la maison d'en face , a , juste après la mort de mon père , fait ou laissé couper l'immense marronnier centenaire qui abritait la cour commune . Il était sur sa portion de cour ... Qu'est-ce que cet acte symbolisait pour elle , pour son mari ,  qu'est-ce qu'il symbolisait pour l'une de mes nièces et son compagnon ,  qui habitaient alors cette maison d'en face   ? quelle chaîne- de -causes- et -d'effets que je ne connaîtrai jamais , de blessures  subies par les hommes de la famille dans leurs enfances respectives , père , beaux-frères , beau-fils ,  je ne saurai jamais lesquelles et puis ça n'est pas mes oignons ... de blessures subies par les femmes de ma famille dans leurs enfances respectives ,  mère et tante et  soeurs , j'en ai un peu entendu parler mais je ne vivrai jamais les mêmes , les miennes ne sont pas les leurs  ... quelle chaîne a abouti à l'éradication de cet arbre qui  était , à ce que je croyais , notre ami  ?   Je devrais  être reconnaissante à ma soeur- du- milieu et à mon beau-frère , à leur fille et au compagnon de leur fille , d'avoir pris l'initiative de trancher , certes  très violemment et en nous mettant devant le fait accompli , le cordon ombilical qui me reliait à cette maison . Je leur en veux toujours un peu , beaucoup beaucoup moins qu'il y a quinze ans , beaucoup moins qu'il y a dix ans ,mais il me reste toujours un peu de souffrance et de colère ... cet arbre était sur leurs portion de cour . Certes , presque au milieu de la cour , mais un peu de leur côté . Question de frontière ... Dans notre famille on laissait les hommes prendre les grandes décisions . Les femmes se considéraient comme des gourdes et n'écoutaient plus leur coeur , les hommes étaient considérés comme dépositaires d'une essence supérieure ... qui a pris la décision de couper ce marronnier ? qui a laissé faire ? qui s'est vengé de qui ? je ne saurai jamais ...


      
       Cette maison , je ne l'ai jamais connue que : l'été - vacances interminables , couchers de soleil sur le Jura , exquises salades du potager ; quelques rares fois au printemps , ciel bleu layette et chant des coqs dans la ferme d'à côté  ,  draps raides  dans les chambres  le soir , le nez glacé , les pieds chauds contre   la  bouillotte brûlante bienheureuse , emmaillotée dans un  vieux châle pour qu'on ne se brûle pas ; puis au début de l'automne , pommes et poires dans le verger ,   grosse cuisinière en fonte rougeoyant chaleureusement dans la cuisine , et la confiture de poires qui mijotait ...peut-être que le commencement de la fin , ça a été quand mes parents se sont défaits de cette cuisinière .
si tant est que ça soit eux qui l'ait fait . Je ne venais plus guère à cette époque , trop préoccuppée de mes difficultés de jeune adulte affreusement inhibée , trop entortillée dans ces conditionnements contradictoires qu'il m'a fallu une trentaine d'années pour dénouer ...

        Et voilà , nous vieillissons tous , et la maison aussi , qui se délite parce que plus personne ne peut ou ne veut s'en occuper . Hier ,  Philippe et moi sommes allés voir  ma soeur aînée - laquelle y plaçait autant de rêves et d'attachements que moi ,  pas les mêmes  bien sur . chacune ses rêves ... pour préciser comment nous pourrons essayer de la vendre . Ma soeur-bull-dozer-du-milieu voudrait en faire des logements sociaux ( du passé , faisons table rase ... elle a bien commencé . Ceci dit , elle est l'heureuse propriétaire de plusieurs terrains dans le village  et  pourrait surement racheter la maison , si elle le désirait ).  Qu'importe  ... Puissent les gens qui y habiteront être  heureux . Mais il n'y aura plus jamais de grosse cuisinière en fonte , plus jamais d'arbre immense dans la cour .

commentaires

L
Les déchirements des familles souvent masqués par les comportements vis-à-vis des biens matériels...Je connais bien ...<br /> Merci de ton com sympa...Oui, c'est souvent par un autre blog qu'on découvre le suivant...Une pelote de laine...<br /> Et j'aime ta façon d'écrire...Je reviendrai lire plus profondement au coeur des bosquets...<br /> Bonne semaine<br /> Hélène
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V
quel beau texte, j'en pleurerais, on y retrouve si bien toutes les émotions, et on la voit, cette maison.........et j'aime ton arbre............
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L
Nostalgie, quand tu nous tiens...<br /> A quoi est-on le plus attachée ? La maison ou les souvenirs???<br /> Comme tu racontes bien tout ça , Françoise ! Je me suis revue petite et ado, dans une autre maison d'été... désormais à l'abandon, elle aussi, pour cause de familles trop courtes.<br /> Autre temps qui nous marque pour toujours...
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