Réveil à trois heures cette nuit , avec l'angoisse que maman soit morte . Faut dire que le départ de sa soeur , et amie la plus proche depuis plus de quatre-vingt dix ans ( j'excepte déjà les années d'enfance ,époque où l'on est alternativement ce paquet d'enthousiasme et de haine , d'amour et de jalousie ) , ce départ définitif a été un sacré coup dur . Au téléphone hier soir maman me disait " chaque fois que je prends le monte-escalier j'ai un serrement de coeur" . Parce que c'était monter à l'étage , où elle voyait tous les jours ma tante ... maman est cardiaque , bon elle a une pile mais ... bref , je me suis réveillée avec la certitude que ma mère était morte . Comme la garde ne m'a pas téléphoné , j'en déduis que tout va pour elles , à peu près ... Maman ne veut plus rester dans cette maison , ce que je comprends , et je lui ai proposé de m'occuper de la faire venir près de moi . Pas chez moi , je pense que je deviendrais dingue et que mon cher et tendre prendrait ses petites valises pour Tombouctou , mais déjà : trois mois cet été dans ma maison de retraite préférée et vraiment sympa , j'en ai déjà parlé , la seule qui m'a vraiment convaincue après une dizaine de visites à d'autes établissements . Ensuite , on avisera .
Restait , cette nuit , l'angoisse ... bon , je fais avec , je respire dans tout mon corps , tranquille , j'accueille cette angoisse ... et je repense à ma relation avec maman . Des années d'enfance , des bons souvenirs en vacances . Des années où j'avais si fort besoin de hurler que je la haïssais , à cause de la dureté et l'exigence incroyables dans l'éducation qu'elle nous a donné , exigences qu'elle a aussi vis à vis d'elle-même . Et des années pacifiées , les dix ou douze dernières , depuis ma guérison physique ...
J'ai repensé à la vie de ma mère . Pris conscience tout à coup que cette vie ne se limitait pas à sa relation avec moi , pris conscience des nombreuses vies qu'elle a eu avant moi , son enfance avec ses parents à elle , plein de copines et de jeux dans la rue à Gap , sa vie de jeune mère anxieuse pendant l'Occuppation , sa vie de prof aimée et respectée de ses élèves à l'Ecole Normale , sa vie avec mon père ... plein de relations , plein de vies diverses . Maman a toujours eu le chic pour faire sentir à tout interlocuteur(trice ) qu'il ( elle ) était la seule personne importante dans sa vie ... et je suis restée toutes ces années dans la vision de l'enfant : Maman est tout pour moi , je suis tout pour elle ... mais non , ce que je connais d'elle n'est qu'une infime partie . Et la relation avec moi n'est qu'une infime partie dans sa vie .
Ouh là là , et j'ai l'angoisse tout à coup , parce qu'elle a accepté ma proposition ...bien sur , je suis probablement plus proche de maman en tant que denière fille - en tout cas c'est ce qu'elle dit ; je suis plus attentive à son bien-être que mes soeurs , élevées encore plus à la dure que moi puisque la guerre faisait rage à l'extérieur . Est-ce que la tâche ne va pas être au dessus de mes forces ? il y aura à veiller à son bien-être là bas , il n'est pas question de la planter là dans cette maison de retraite , malgré que ça soit vraiment un lieu d'accueil sympa ; parce qu'il y aura aussi à assumer les aller-retour sur Nice ; les rendez vous chez le notaire pour liquider la succession de tata , il faut prendre un commissaire priseur pour faire l'inventaire des meubles , et pourtant aucun d'eux n'a de valeur , pas des meubles d'antiquaire ! parce qu'il faudra déménager la maison ... Philippe avait bien commencé , en nettoyant une bonne partie des strates accumulées au cours des années dans l'appartement du haut , celui de tata , carton après carton au Secours Populaire .. mais il commence à fatiguer . Mes soeurs sont , visiblement fatiguées aussi ... mes neveux ont leurs intérêts propres , et leurs boulots , et leurs familles . Et en outre , c'est toujours nous qui habitons le plus près ... )
Ouh là là ... enfin , à chaque jour suffit sa peine ; ou encore , comme disait Arnaud , à chaque seconde suffit son " Oui " . Et puis , je ne suis pas seule , ça encore c'est la vision de l'enfant de penser qu'il est seul dans le monde . "Je" suis juste une maille du tissage , il ne faut pas que j'oublie ça . Et s'identifier à ce " je " qui se donne le temps et le plaisir d'écrire là , au " je' qui pense dans cet instant , ça n'est qu'une vision limitée de la situation ... mais tout de même , ce matin ce " moi" là est tremblant de trouille .