J'ai souvent dit ici que j'avais déjà vécu , depuis trente ans , des fragments d'Eveil *, ou plutôt des micro-fragments ... mais chaque fois , c'était comme un fenestron qui s'ouvre tout à coup dans une pièce autrement plongée dans l'obscurité complète , puis le fenestron se refermait plus que vite ... la dernière fois que ça m'est arrivé , il y a quelques mois , j'ai senti - en même temps que cet état où je voyais qu'il n'y avait en "moi" que des fragments de pensée , d'images , flottant dans une espèce de vide immense - j'ai senti , donc , une belle trouille ... à peine le temps d'essayer d'apprivoiser cette peur , et le fenestron était déjà refermé . Laissant place à la succession habituelle de pensées , de sensations , d'états de conscience ... à l'obscurité , donc .
Sautons , ou ayons l'air de sauter , du coq à l'âne : il y a sur le merveilleux tympan de l'abbatiale de Conques , dédiée à Sainte-Foy la Grande , une image de Sainte-Foy ; en bas à gauche dans l'espèce de forme en triangle :
L'agrandissement n'est pas très bon ,mais on voit Sainte-Foy , ou plutôt sa tête inclinée , et la main qui se tend vers la tête est probablement celle de Dieu ... Ceci m'a touchée , me rappelant que la première fois que j'ai été dans la chambre de Sri Aurobindo à Pondichery ( une chambre de super intellectuel , comme il fallait s'y attendre , meublée début XXe ou fin XIX e , bourrée à mort de petits meubles , de bouquins , de tableaux , de fauteuils , etc ...) donc , cette première fois où nous avions été autorisés à méditer un moment dans la chambre , m'était tombée sur la tête , littéralement , je sentais , physiquement , une étrange clarté d'esprit et une énergie paisible , alors que je ne m'y attendais guère - j'ai dit dans ces pages , en long en large et en travers , à quel point cet hyper intello qu'était Sri Aurobindo ne me convenait guère ; depuis , j'ai lu un bon passage de son commentaire de la Bhagavad Gîta , avec beaucoup d'intérêt - cinquante pages en cinq ans , je ne suis donc pas une de ses lectrices acharnées ...
Et le théorème de Pythagore dans tout ça ? revenant à la clarté d'esprit , la mienne étant souvent plus qu'obscurcie par l' émotif qui frétille toujours de la queue .. et à cette histoire d'Eveil . Il me parait de plus en plus évident , intellectuellement , que la sensation de l'ego n'est qu'une vieille habitude et une illusion . Ceci dit , j'en suis la plupart du temps prisonnière ... par exemple , je ressens , intellectuellement , que c'est absurde de dire " mon " corps . Il y a un corps physique , mais en faire un genre de propriété de mon ego , c'est une habitude de pensée un peu bête , qui facilitait les choses quand on était petit , mais je ne suis pas mon corps ?... Donc , continuer à fonctionner en disant " mon" corps , " je" suis coiffée comme un balai à accrocher les araignées , ou "mes" boucles retombent de façon sympathique aujourd'hui , " je " me regarde dans la glace et " je" me plais .. c'est un peu comme si , malgré que j'ai été convaincue depuis longtemps par le théorème de Pythagore , que la somme des carrés des côtés d'un triangle rectangle est égale , je vous passe la suite ... comme si j'étais intellectuellement convaincue de ce théorème et que je continuais à fonctionner en niant cette réalité chaque fois que j'ai un calcul à faire .. un peu bête , non ?
Conclusion : moi qui déteste toute discipline spirituelle , et appelle volontiers Krishnamurti à mon secours pour me justifier , j'essaie , depuis un certain temps , de ne plus m'identifier à mon corps chaque fois que "je" "me" regarde dans la glace ... sachant que je trouve mon visage " pas trop mal pour mon âge " une fois sur deux , " moche " une fois sur deux , l'émotif n'a guère de raisons d' intervenir dans cette petite discipline intellectuelle ... je regarde ce corps , ce visage ... ils sont là , bien ou mal coiffés , frais ou fatigués , ni plus , ni moins ...oui , ça supprime des repères , il y a une petite inquiétude qui monte ... mais il y en a tant d'autres , de repères , tant de maîtres de tous bords , qui parlent , eux , de liberté ...
Tiens , en voilà une rigolote , à propos de Krishnamurti ,justement !