Je vais vous reparler de " Flow , my tears ... " .. Allez , c'est la dernière fois , je le jure .
Donc , ce matin je ne me sentais pas très gaie et , le coeur serré , je revenais une nouvelle fois à la triste chanson de Dowland ; allégeant ma déprime du matin - parce que mes larmes à moi ne coulaient pas vraiment . Je n'ai pas inventé l'oeuf à la coque : vous savez aussi bien que moi que la peine , la souffrance , s'allègent , en quelque sorte , quand on prend refuge dans une musique qu'on aime - Dowland pour moi en ce moment , Haendel pour Adeline-que-je-ne-connais-que-par-ses-commentaires ; il y a quelques siècles , je me rappelle , je me nichais dans les Leçons de ténébres de Couperin chantées par Alfred Deller ; Lisa , de Cat Stevens , a creusé tout un hiver mon chagrin d'amour pour un gentil garçon irlandais ... il y a longtemps , si longtemps - et ça ne nous rajeunit guère ...
J'écoutais , j'ai voulu faire l'effort de traduire de façon un peu précise , le Harrap's sur mes genoux ... Je me suis aperçue qu'un théme qui revient dans le poème est , outre la tristesse , le mépris de la lumière pour l'ombre - le rejet , parfois violent , des chagrinés par les gais . Z'ont pas envie d'être dérangés dans leur bonheur les gais .. Z'ont pas envie de sortir de leur tristesse les déprimés , et Dowland leur conseille de mépriser les joyeux .. Je ne sais pas vous , mais moi je commence souvent par chercher tous les moyens de me sentir " bien " , c'est à dire gaie et pleine d'énergie , avant d'accepter , de façon un peu volontariste , que je me sens mal , sans raison , ou mal , avec " des raisons " ( mais le Chemin , n'est-ce pas de se délivrer de ces soi-disant raisons ) . Rejet de l'ombre par la lumière ... et l'ombre qui le lui rend bien ... Ca serait surement un peu plus simple d'être triste en acceptant de l'être ; mais non , on rejette d'abord .. toujours cet idéal un peu rigide , d'être gaie et en pleine forme chaque minute que Dieu fait .
Pas à pas , essayant tout d'abord d'ignorer le fait que mon Chevalier à la triste figure personnel m'accompagne comme un frère tout au long du chemin , pas à pas je suis chaque méandre d'un sentier compliqué , puis reviens enfin au point de départ - la tristesse, tout simplement ; juste ,ce matin je suis triste et j'ai le coeur serré . Pas de quoi en faire un vélo ... la tristesse , à vivre , à accepter , la tristesse qui disparaîtra , comme elle est apparue ... en une minute , en trois jours , en trois mois .. tandis que Don Quichotte et moi resterons à nous émerveiller de la beauté de la chanson de Dowland .
Ma traduction étant un peu laborieuse , je préfère piquer celle de ce site
COULEZ MES LARMES
Coulez mes larmes, jaillissez de vos sources !
Exilé pour toujours, laissez-moi m'affliger.
Où les oiseaux noirs de la nuit chantent leur triste infamie,
Là, laissez-moi vivre abandonné.
Cessez, vaines lumières, ne brillez plus,
Aucune nuit n'est assez sombre pour celui
Qui, dans le désespoir, déplore sa dernière fortune,
Fait de la lumière mais dévoile sa honte.
Jamais mes chagrins ne pourront être consolés,
Depuis que la pitié s'est enfuie,
Et les larmes, et les sanglots, et les plaintes, mes jours lassés
De toutes joies sont dépourvus.
De la plus haute volute du plaisir,
Ma fortune s'est effondrée,
Et la peur, et la peine et la douleur dans ce désert
Sont mes espoirs depuis que l'espoir a déserté.
Ecoutez, vous les ombres qui dans l'ombre demeurez,
Apprenez à mépriser la lumière
Heureux, heureux ceux qui en enfer
Ne sentent pas le dédain du monde.
John Dowland (1563-1626)
(traduction: Serge Leclercq)
Le site en question , qui date d'il y a dix ans , est celui d'une association WuSong . Il affiche d'ailleurs d'autres textes , notamment du boudhisme Ch'an , et voilà que là aussi je constate que j'ai suivi une boucle , passant par la chanson de Dowland .. marrant de retomber sur des textes boudhiques .. ; il n'y manque même pas la référence au regretté Philip.K. Dick . Je ne sais pas vous , mais moi je vais aller explorer un peu ; en écoutant la deuxième leçon de Ténébres , si vous tenez absolument à quitter John Dowland ...