Ce matin : ciel tout gris , sauf une bande claire dans la direction du Rhône - mais la pluie se fait attendre , encore et encore . Un héron - le salaud qui m'a bouffé cinq poissons sur sept ? - avait pris position hier matin tout en haut du grand cédre ; ai-je rêvé ou inspectait-il le petit bassin , de son regard auguste et acéré ? Le filet que j'avais commandé par internet est arrivé hier ; j'ai passé deux bonnes heures à l'installer : envoyant aux pelotes Philippe qui voulait me l'installer façon Philippe , j'ai dit que j'allais m'en charger toute seule et j'ai scié moi-même une partie des piquets dans un très gros bambou ; dorénavant , je saurais que c'est abominablement dur le bambou !
Quoique j'ai fait de mon mieux , la présence de ce maillage heurte mon sens de l'esthétique , lequel est bien sur très oblitéré par le mental ou l'émotionnel . Et m'en voilà toute agacée . Pourquoi est-ce que ça ne serait pas " beau " ? Parce que tu as déjà dans la tête l'image de petits bassins carrés façon jardin Zen , si possible en pierres , où les poissons rouges nagent lentement ... tu as vu ça dans des magazines ... ( Mais souviens-toi , tu avais ça , il y a huit jours encore. Sauf la bordure en pierres . Tu pourrrais donc reprendre des poissons rouges ; et il ne te resterait plus qu'à mettre dessus une enseigne fast-food .en langage héron .. )
Que diable le mot " beauté " recouvre-t'il ? Il y a l'esthétique tendance Zen , ou tendance Monsieur Hulot ( souvenez vous de l'escalier de sa maison dans Mon Oncle ) . Je déteste les jardins Zen , je trouve ça glacé , déjà qu'en ce moment la vie n'est pas très rigolote .. Mais d'un autre côté , les jardins trop chichiteux , je n'aime pas ça non plus . Alors ? Alors , photos suivent ...
Je vais déjà aller voir comment le filet a tenu le coup cette nuit : Myrtille , la grande copine d'Hermione , a pris la néfaste habitude de venir boire un coup au bassin le matin tôt ( Myrtille est un chien genre berger à poils longs , du genre blanc et noir sauf quand elle a pris son bain de boue matinal dans le fossé voisin . Elle court comme l'éclair , encore plus vite qu'Hermione , est hyper gentille et ultra trouillarde ) ; j'espère que je ne vais pas la trouver en train de flotter dans le bassin avec le filet entortillé autour des papattes .
Ces soirs , je relis la biographie de Philip.K. Dick dont je vous parlais il y a peu de temps , et je tombe sur une page qui me ravit , et me rappelle que j'avais eu un coup de foudre pour " l'Oeil dans le Ciel " la première fois que je l'ai lu ... Chaque chapitre de ce livre permet à la lectrice angoissée de voyager au fil du temps et de l'espace , comme dans un roman " normal " ; elle met quelques chapitres à se rendre compte qu'elle voyage aussi dans le mental d'un personnage , un mental devenu le Monde ou la Réalité du livre , grâce à l'auteur-manipulateur , qui a agencé en virtuose les péripéties , bien abrité derrière sa machine à écrire . J'ai eu la chance de naître dans une famille nombreuse qui contenait déjà quatre adultes et deux ados ; une famille où chaque personne avait viscéralement un point de vue différent et bien ancré , ce qui faisait plusieurs antagonismes . Après une petite trentaine d'années passée à réparer les divers déphasages qu'une telle situation engendre chez un enfant en construction , qui tente de comprendre le monde à partir de la famille où il a atterri , je me rends compte que c'est une situation qui permet de comprendre à quel point ce qu'on considère comme le réel , le monde , est fondalement différent pour chacun . Quand à la Réalité Ultime ... Les sages disent qu'elle est la Beauté , l'Amour ...