La journée du Mercredi avait commencé tranquille ... j'avais dormi en bas , la pièce la plus fraîche ; et vers les six heures , à mon grand étonnement , je m'étais réveillée sans l'aide d'un chat noir enjôleur ( qui d'ordinaire vient quémander un câlin après sa petite virée nocturne ) . J'entendais de drôles de bruits dans l'escalier - chien , chat , une dispute ? - encore à moitié endormie , je m'étais retournée sur l'oreiller et paressais encore un peu , avec bonheur , avant de me lever pour la méditation dans le petit matin tout frais ...
Ah , mais le voilà le chat , il arrive mais il ne ronronne pas - curieux - et qu'est-ce que c'est que cette sensation de chaleur contre ma hanche ? je pense d'abord au travail des chakras qui donne des sensations de chaleur bizarre , et puis je touche le drap .. horreur , Rajah a pissé sur le lit ... et sur moi par la même occasion .. ce chat devient insupportable ! travail sur les chakras my ass .... pas contente je suis ! j'arrache ma chemise de nuit baptisée au pipi de chat , je prends le Rajounet par la peau du cou et lui mets le nez dans le pipi ... Ensuite , le nez pincé , je m'agite fébrilement pour mettre le plus vite possible draps , dessus de lit , chemise de nuit ... à la machine à laver .
Sept heures moins dix ... , je bataille avec le protège-matelas , je viens de m'apercevoir qu'il avait également été compissé , et il adhère comme un damné au matelas dessous ... Drriiiiiiiiiiing ! le téléphone - mauvais signe , je m'inquiéte tout de suite , à cette heure ci c'est à coup sur un problème chez maman . Toujours sans chemise de nuit et nue comme la vérité , je décroche ... Tiens , non , c'est moins grave que je ne pensais , c'est Ellés , toujours consciencieuse , qui veut me prévenir que maman était très perturbée la veille , à propos de Nordine ... Ellés est hyper consciencieuse mais excessivement bavarde , et puis elle aime maman à deux cent pour cent ... une employée précieuse , seulement elle me tient la jambe pendant vingt bonnes minutes ; moi , toujours à poil, au milieu du pipi de chat et des oreillers défaits , je commence à avoir froid ... mais je considère que c'est mon rôle , en tant qu'employeuse pour ce travail bien particulier , de m'intéresser pour qu'elle continue à bien le faire . Pour ralentir l'intensité de la communication , je commence à visualiser un doux nuage blanc qui s'installe entre nous ... enfin nous nous décrochons l'une de l'autre , et je me promets d'aller voir maman dans la matinée pour essayer de dédramatiser .
Huit heures et demie : je téléphone chez maman , propose à Sylvie , qui la garde ce matin , qu'elles viennent toutes deux prendre la café chez moi - je me serais bien passé de ça , mais bon ... j'essaie , éternellement , d'arranger les choses . Nous faisons le tour de mon jardin en soutenant maman , qui n'a plus l'air si perturbée que ça d'ailleurs - je lui cueuille un bouquet or et rouge : oeillets d'Inde , zinnias roses et rouges , rudbeckias ; puis nous prenons un ersatz de café en papotant , à l'ombre ... Elles y passeraient bien toute la matinée ... pas moi , je les raccompagne doucement mais fermement vers la porte .. et je pars faire les courses . Une récréation ! à Liddle , où j'achète la pâtée d'Hermione , il y a toujours des plantes intéressantes , à prix intéressants , et je m'offre, presque chaque fois , une gâterie ... à planter au jardin . La dernière fois ,c'était des angelonias , des grappes ascendantes de petites fleurs aériennes blanches et mauves à l'aspect délicat , qui , à mon grand étonnement , durent et durent , et supportent plutôt bien la chaleur agressive de l'après-midi . Je les ai installées à mi-ombre , tout de même . Aujourd'hui , ce sont des bégonias oranges et rouges flamboyants , que j'installerai à la place des hortensias qui supportent mal leur emplacement actuel - quelle idée j'avais eu , de me laisser tenter par des hortensias sous le terrible climat de notre Piémont Cévenol ... Avant Liddle , je passerai acheter des oeufs et du pain à la boutique de Paysan Direct , que je soutiens ... et chez Kokopelli , c'est tout à côté , voir s'ils ont des graines de chicorée sauvage du bord des routes , que je veux acclimater au jardin .
Onze heures ... j'arrive à la boutique paysanne ; déjà deux dames sont en train de terminer leurs courses . A la caisse , ça papote encore ... je ne suis pas pressée , j'écoute : l'une dit qu'elle ne mange pas de viande et qu'à cause de ça elle prend des amandes , parce que ça fait des protéines . J'ai une petite idée sur la question , mais c'est toujours bon de s'instruire , on discute végétarisme et protéines ... je me rends compte que l'une des deux , qui a manifestement besoin de professer , n'en sait pas plus que moi ; moi , qui ai tendance à fermer servilement mon clapet . Faut dire qu'en fin de matinée , j'ai pas une pêche terrible ... Mais , oooooops .. Que se passe-t'il , la conversation dérape sur la viande Hallal .. Ouh là , je sens un iceberg qui émerge des flots , un monstrueux rejet de l'étranger qui pointe le bout de son moche petit nez .. mais Nom de Dieu qu'est-ce que je fiche là avec ces deux bourges qui doivent voter Front National ... Dieu sait que je n'ai pas particulièrement envie de manger Hallal ; mais qu'on tue les bestiaux en les assommant d'abord - et quelquefois ça rate , c'est pas toujours propre les massacres dans les abattoirs - ou en les saignant , c'est pas plus joli ... J'essaie désespérément de faire dévier la conversation sur un ennemi commun , au hasard les élevages industriels de porcs ( bretons ! ) où l'on coupe la queue des porcelets parce que c'est plus pratique - mais non , non , elles en tiennent à la stigmatisation de l'abattage Hallal et de la France ouverte aux " étrangers " ... misère .
Six heures du soir : après être passée voir le guérisseur de Saint-Hilaire qui m'a remis les énergies en place d'un côté -enfin j'espère - , après une petite sieste , après un bain réfrigérant , je vais voir Maria pour me remettre tout à fait le coeur à l'endroit : je lui apporte des feuilles de cassis séchées pour ses douleurs , et des graines de mes pavots rouge vermillon . Nous prenons le thé , Hermione dévore l'équivalent de son poids en boudoirs ( assise entre les genoux de Maria , les yeux dans les yeux , toutes deux s'amusent comme des petites folles ... ) .
Maria me rappelle qu'elle demande de l'aide à Dieu quand elle a une rencontre difficile à faire ; j'en ai encore une dans la soirée et je me promets bien de l'imiter .. Je partirai de chez elle , comme toujours , apaisée et rassérénée ; la maison de Maria est adossée à la colline , pour y accéder il y a un raidillon , sous un mur de fleurs en pots installées dans la pente qui monte raide au dessus . Ses fleurs de tabac embaument , et nous les admirons pendant que je surveille la descente un peu cahotante de Maria vers son jardin ( Il lui est déjà arrivé plusieurs fois de tomber - mais jamais en descendant , me dit-elle ) . Ensuite , marchant sur la petite route pour rejoindre ma voiture , dans l'ombre des chênes-verts , je caresse la paroi abrupte de la colline , où les petits schistes gris forment comme une peau écailleuse et amicale . Dragon-colline ...
Huit heures et demie : je dois aller chez maman pour sermonner la petite Léna . L'autre jour la petite Léna ne s'est pas réveillée quand l'infirmière est arrivée à six heures du matin , elle avait laissé , parait-il , la pièce en désordre , la porte fermée à clef , les lumières allumées , et elle sortait du lit .. Les autres gardes , qui sont du genre hyper propre nickel Javel Blitz ,et hyper efficace , la condamnent énergiquement et me font remarquer que Léna ne ramasse même pas les chausettes de maman le soir pour les poser sur la chaise ... la petite Léna n'est pas ménagère , et voilà qu'en plus la petite Léna est devenue musulmane ... Maman , qui a toujours apprécié d'avoir une tête de Turc , est en rogne contre Léna , parce qu'elle ne répond pas au doigt et à l'oeil ... Comme maman s'est toujours considérée comme la Reine des Abeilles , un côté assez déplaisant chez elle , je me dis que la présence de Léna contrebalance un peu ; mais , connement , je prends pour argent comptant les critiques des autres gardes , et je m'apprête à donner un ultimatum à Léna . Pas si facile ...
Neuf heures trois : la petite Léna arrive , voilée de turquoise et juchée sur d'éblouissantes mules turquoises - à très , très hauts talons , bien sur ... elle se désentortille de ses voiles , je lui propose d'aller dehors discuter - maman d' humeur bénévolente car elle a passé la journée avec Ellés qui l'adore et la caresse dans le sens du poil , d'accord elle est payée pour ça mais elle en fait encore plus , maman , donc , est installée dans son fauteuil devant " des Racines et des ailes .." Léna commence par mal supporter mes reproches , suggère que tout a changé depuis quelque temps chez maman - elle a raison de ce point de vue , l'atmosphère est moins familiale , plus rigoureuse ... depuis que j'ai engagé Sylvie et Ellés , deux femmes d'ordre venues lutter contre l'influence perverse de Nordine ... Ce qui était bien nécessaire Elle accepte de signer , promet de ne plus jamais apporter sa lessive pour la laver dans la machine à laver de maman , ( c'est nouveau , cette histoire de lessive ! elle n'a jamais fait ça quand elle était célibataire .. ) m'explique qu'elle fait le Ramadan ... ( je m'informe , ça m'intéresse d'en savoir plus ... ) Son petit mari arrive pour lui apporter le repas de rupture du jeûne , je les laisse pour l'instant en précisant bien qu'il ne doit pas s'attarder .. il est dix heures moins le quart , je rentre retrouver le mien pour notre repas du soir et la soirée douce sous les étoiles - le mien que je retrouve furieux contre ma mère et tout le temps que je passe à m'en occuper , furieux contre Léna , contre les gardes , contre la religion Musulmane et contre les religions - oh oui , contre toutes les religions ...
Quelle journée .