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18 juin 2014 3 18 /06 /juin /2014 02:01

 

                   

 

                    Nous rentrons d'un voyage éclair assez fatigant ... motif : je devrais hériter , vingt ans après la mort de mon père ,   d'un morceau de pré -  très grand - et d'un autre -  petit .   Ca fait magique , d'avoir  tout un pré à soi .  Un coin à soi .. ca me rappelait la nouvelle de  Virginia Woolf  ,  Une chambre à soi .. Je rêvais un peu d' installer  ,  à mon gré , dans ce coin de Haute-Savoie qui accueillait les étés d'autrefois ,   un jardin , une cabane  , un genre d'ermitage  , de petit atelier rien que pour moi  pour aquareller  l'été   .    

             Ma soeur aînée  a un chalet à deux pas de là ;   elle nous a reçus  avec d'autant plus de gentillesse  que j'avais , par étourderie ou  fatigue , oublié de lui demander auparavant la permission d'amener Hermione  . Or ,     mon beau-frère supporte très mal la présence d'un chien - ce que j'ignorais  , ou avais oublié , car il avait fait bonne figure quand  on était  allés les voir il y a un an ou deux , avec notre toutoune  .  Heureusement , on n'est restés qu'une nuit ! C'était peu courtois de ma part , et les a stressés encore  plus : tous deux étaient déjà très choqués par l'installation récente d' un bloc de maisons  juste à côté de leur maison de campagne ,  bouleversant d'autant leur territoire visuel et émotionnel .Moi qui essaie toujours d'être impeccable , soignant ma tenue  chaque fois que je vais les voir .. c'était raté .  

                 Ma soeur nous a gentiment accompagnés sur le chemin du pré ; mais , chemin faisant ,   elle m'a fait comprendre avec fermeté qu'aucun de mes fantasmes ne devait prendre  corps :  j'avais rêvé de planter sur mon pré des arbres  ,  de ces rosiers rustiques rose vif qui n'ont besoin d'aucun soin pour fleurir , ou encore une haie pour les oiseaux , d'aubépines , de houblons grimpants , de fusains et de  cornouillers   :   une des choses que je sais faire , et que je fais ,  c'est créer des jardins   .

            Impossible !  Sur ces prés , des paysans font paître leurs chevaux , ou leurs vaches ,  il ne faut pas que je veuille y poser un pied  ,  je gâcherais un genre d'harmonie , un filet de bonnes relations     tissé avec temps et patience  .         Une harmonie en forme de  cotte de mailles  pour l'étrangère , qui a abandonné le coin il y a vingt ans  ...      Involontairement , je me suis rendue tout à fait horripilante  en  demandant avec insistance si la ligne d'arbres du bas était sur mon pré , où non , si tel ou tel poirier était à moi , ou non ( j'aurai peut-être la chance d'hériter d'un poirier ! ) .  On me dit que les propriétaires de vaches et de chevaux   sont nos cousins éloignés ,et si gentils  -  il ne faut pas les froisser ; d'ailleurs si je plante un arbre ils ne se gêneront pas pour le couper  s'ils ont envie ; d'ailleurs , c'est leur gagne-pain que je risque de menacer ; d'ailleurs ils mettent leurs clôtures comme ça les arrange et comme ils peuvent ; d'ailleurs elle ne peut situer exactement les limites de ce fameux  pré ... et puis , je n'ai qu'à faire comme elle , qui se sent  propriétaire du ciel , de la vue .. Super .  ( Sa résidence secondaire est à deux kilométres  de là )  .  J'avais l'impression d'arriver comme un cheveu sur la soupe   ; mais dans ce pays d'autrefois , je n'ai plus ma place .   

           Nos autres neveux ,   quand ils se sont installés dans le hameau , avaient marqué leur territoire de façon éclatante . Ils se sont installés dans la maison , don de  mon autre soeur  -  héritée , ainsi que plusieurs champs ,  de sa propre marraine , ma tante du côté paternel ;    puis , occasionnellement , ils ont  fait couper à ras , après la mort de mon père et ça n'était pas en signe de deuil  , le grand marronnier quasi centenaire au centre de la cour ,   situé sur leur portion de terrain .  Cette cour , que je croyais commune à la maison de mes parents  et à la leur  ;  mais non , ce malheureux arbre se trouvait , à un mètre près , sur leur moitié   . Pour moi ,  un arbre  d'enfance ,  un vieil ami  ; sous ses branches , j'avais eu , autrefois , l'impression d'avoir ma place . Mais la chute des marrons menaçait leur toit  .. les racines menaçaient leur maison ..   c'est terrible les marrons . C'est terrible l'émotionnel , quand ça se drape dans le manteau de la rationnalité .

          J'ai ainsi mieux compris , ça fait un choc , ce que c'était que le territoire   .   J'ai mis au moins dix ans à me sentir en paix  , souffrant chaque fois que je voyais un marronnier près d'une maison , chaque fois que je promenais dans une ville aux trottoirs bordés de marronniers . Maintenant , je suis tranquille   : maintenant  j'ai  compris et accepté , grâce à l'anéantissement de l'arbre protecteur   , que ma place n'existait plus dans la cour "commune" ; je n'y suis plus revenue   . Pendant des années . Pas de place pour moi  , bon ! j'en aurai une , ailleurs ;  et tout va bien  . Et j'aimerai bien mes neveux - mais de loin , surtout ,  et je me garderai  d'habiter près de chez eux  ...    Je suis devenue un peu paranoïaque  : j'aime bien savoir où je mets les pieds avant de m'attacher à un arbre .  

                     

                 Maintenant ,   les neveux ont vendu leur maison , une fois restaurée et nantie d'un bout de cour - avec jardinet , sans arbre  ; sont partis , mission accomplie ; nous ,   avons vendu la grande maison de mes parents en face  , avec l'autre moitié de cette petite cour dont le  grand fantôme  se plaignait  à l'oreille de deux d'entre nous   .

                Et puis tout à coup - la possibilité  de bénéficier réellement d'un endroit à moi  sur la colline  , comme mes soeurs ; l'idée d'être accueillie par ce pré en pente douce , bordé de cardères ,  provisoirement ancré avant de prendre son envol , cette idée avait ranimé bêtement le rêve ancien   ...  J'ai  senti , comme auparavant , que je ne serais pas la bienvenue . Contente toi de regarder .

 

 

 

 

P1150114.JPG 

 

 

 

                Très loin , vers la Suisse ,  le lac irradiait d'une lumière d'été éblouissante  , la même qu'autrefois  , dans le vent frais de l'après-midi d'été :  la petite nappe d'eau , d'un bleu clair vaporeux ,  rayonnait  comme un ciel de Fra Angelico  ,  or et aigue-marine , citron et  turquoise ...  

          

         

             

 

                 

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