Après notre excursion du côté de Sisteron , m'était venue la curiosité d'en savoir un peu plus sur mes ascendants ... Certes , j'avais passé du temps à consulter les Archives de la Ville de Digne , il y a une quinzaine d'années . Mais depuis , il y a eu la Toile , ses infinies possibilités ...
J'ai commencé par Vaumeilh ; puis , bifurqué sur Saint-Geniez , dont étaient originaires mes deux arrière-grand-mères du côté maternel , l'une s'étant mariée à Vaumeilh . L'autre repose au caveau de Sisteron , comme je l'ai dit , et s'appelait Emilie Fouque ( tout au moins , ce qu'il reste de son corps , repose .Ce qu'elle fait , elle ... je n'en sais rien ) . J'ai commencé mes recherches par le hameau de Chardavon , qu'on rencontre à gauche de la route juste avant d'arriver à Saint-Geniez . Un hameau plus petit , donc aux archives plus faciles à consulter . Je suis tombée , tout de suite, sur l'acte de naissance de cette Emilie Fouque : née le 11 Décembre 1850 . Emilie-Rosalie , pour être précis .
C'est là que le virus a commencé à m'envahir , insidieusement ... J'ai voulu regarder si elle n'avait pas une soeur ( qui aurait été , il me semble , l'arrière-grand-mère de cette cousine que j'ai raccompagnée chez elle , dans un autre hameau , lumineux et ensoleillé , au pied de la Montagne de Lure . Lundi dernier . Lundi , déjà ?
Donc , je cherche la soeur .. pas d'acte de naissance pour une soeur ; mais l'acte de décés d'un petit frère , Joseph , mort à 3 ans dans ce même hameau , quelle tristesse . Tiens , c'est drôle , il était né dans un tout autre village , Authon . Je le connais , cet Authon , il est à une bonne dizaine de kilométres de Saint-Geniez , on y accéde par une route étroite , aérienne et vertigineuse , qui serpente entre le ciel et les ravines noires qui s'émiettent et descendent raide vers le torrent tout en bas .. je consulte donc les archives d'Authon ; trouve l'acte de naissance du petit frère . Tiens , mais pourquoi cette famille s'était-elle déplacée dans un autre village .. que c'est drôle . Toujours pas de soeur .. je reviens à Saint-Geniez , qui était au XIXe un très gros village , entouré de petits champs , bien niché sur son plateau au dessus de la vallée , au pied de la montagne des Monges . La chance me sourit , je trouve deux actes de naissance : d'une soeur Baptistine en 1841, d'un frère ainé Prosper- Pierre auparavant , en 1837 ! Enfin , me vient l'idée , un peu tardivement , de consulter les recensements , faits tous les 5 ans - admirable coutume , bien pratique pour les généalogistes amateures ... Certes , les agents qui ont rempli les listes ont quelquefois fait ça à la va-vite , écrivant des âges au hasard , changeant des prénoms .. Mais , j'arrive , au bout d'une semaine de recherches , obstinées et passionnantes , faites chaque soir jusqu'à trop tard , à me faire une idée de cette famille . Des pauvres : cultivateurs , mais émigrant de village en village parce que c'était des paysans sans terre ; s'aimant , faisant des enfants , se soutenant , vivant , mourant avant soixante ans ... Au recensement de 1856 , c'est une famille , père , mère , avec trois enfants . Au recensement suivant , de 1856 , il ne reste plus que la mère et ses deux filles . . La guerre de Crimée , est passée , qui fait que Pierre-Prosper , l'aîné , est mort à dix-neuf ans - du choléra si je me souviens bien , parce que les soldats en quarantaine au Frioul ne devaient pas être dans des conditions d'hygiéne impeccables , et qu'à dix-huit ans il était mobilisable ... Quand au père , Pierre , il est mort à 54 ans , la même année . Savait-il déjà que son fils aîné était mort ?
La maman se retrouve donc seule avec deux filles . Souvent , dans ces cas là , on se rapproche de sa famille - mais alors qu'elle avait des tripotées de parents à Authon au moment de son mariage , je n'en trouve plus un seul du même nom .après 1856 . Morts , partis chercher fortune ailleurs ? Je finis par découvrir qu'elle est retournée à Saint-Geniez , où une Marie Virginie Gassend , veuve , 52 ans , est domestique chez des particuliers . Elle avait commencé sa vie comme domestique , quand elle s'est mariée à 26 ans , .. a eu des enfants , aimé , souffert , travaillé , souffert ... a t'elle terminé sa vie comme domestique ? Qu'a t'elle fait de ses filles , après la mort de son mari et de l'aîné , qui aurait pu être soutien de famille ? La petitoune , mon arrière-grand-mère , avait six ans quand son papa est mort .Qu'est-elle devenue alors ? La grande , presque quinze - elle a du travailler comme domestique aussi .. Mais la grande s'est mariée en 1864 ; la plus jeune en 1879 à peu près , avec le facteur de Saint-Geniez .. Un facteur . Enfin la sécurité d'une paie qui tombe à la fin de chaque mois . Je reparlerai du facteur , bien sur .. l'arrière-grand-père Hippolyte , un personnage peu banal . Comme vous et moi , d'ailleurs , puisque personne n'est banal . En tout cas , leurs restes à tous les deux sont dans le tombeau ... à profiter de la vue sur les montagnes . Ils peuvent voir le lever de soleil , un peu d'ombre à midi car il y a des grands pins et des cédres , vue sur le coucher de soleil aussi ... Leur manque que l'apéritif du soir .
Et donc , depuis une semaine je navigue chaque nuit , fiévreusement , sur la Toile ; moi qui suis riche et instruite , à la recherche des traces de cette famille de paysans pauvres dont plusieurs ne savaient lire ou écrire , ces gens qui me touchent - je vole de hameau en hameau , de village en village , de vallée en vallée , au sein de cette région que je connais un tout petit peu , éblouissante , aride et sauvage , la région chantée par Giono ; certains hameaux toujours vivants , certains morts maintenant , comme ce Saint-Symphorien en bas du Rocher de Dromon , qui a eu jusqu'à cent cinquante habitants en 1864 , quand Baptistine s'est mariée , et qui est marqué " village ruiné " sur la carte , maintenant . Comme cet Abros , un autre hameau de Saint-Geniez , où je n'avais découvert que quelques restes de murs bouffés , et soutenus , par le lierre et la salsepareille ... Ca me fend toujours le coeur , une maison en ruines dans la forêt .Et chaque soir , je cherche , je cherche , j'imagine , je compulse ...
Mais hier soir , j'ai senti la première amorce de guérison : ayant découvert que le père de toute la famille , Pierre Fouque , venait de Verdache , de l'autre côté de la montagne de Chine , qu'il était fils d'un Jean-François Fouque de Verdaches .. mais qui semble en être parti - sans terre , lui aussi ? Le Pierre Fouque a du aller au bout de la vallée , franchir le col, pour aller chercher fortune à Authon , de l'autre côté de la montagne , puis à Saint-Geniez , quand il avait vingt ans . Il a trouvé femme , mais pas la fortune certainement .
Je m'arrête donc ,le douze Germinal , en l'an XIII de la République . Je n'ai pas trouvé l'acte de naissance de ce Pierre Fouque ,mais celui d'un Jean-François Fouque ( le même que le nom de son père , agrémenté par l'officier d'état -civil d'un Joseph - Pierre Fouque , de même père , quelques jours avant .. Il y a une erreur quelque part . Il faudrait bien que je cherche dans les années suivantes , voir si Pierre est né après , ou avant .. Mais j'en ai un peu assez . Je crois que je commence à me remettre de la crise de fièvre généalogique .. pour l'instant .
Il serait temps que je guérisse , que je revienne au sanskrit , aux yoga-sutras de Patanjali , ou à la Bhagavad Gîta , une lecture qui m'apaisera bien mieux ...