Hier était , finalement , un beau jour , quoique j'ai passé toute la matinée à ronchonner amérement sur l'ingratitude familiale et à peaufiner , dans ma tête , une lettre d'humour noir pour mes nièces et neveux - à qui je n'ai presque jamais écrit d'ailleurs ( sauf le panier percé de la famille , parce que sa seule contribution pour nous aider , Philippe et moi , à déménager la maison de Nice , a été de nous laisser gracieusement ses draps sales , après que lui et ses enfants aient passé la nuit dans ladite maison ... à part ça , c'est un gentil garçon ) . Pourquoi à mes neveux ? parce qu'ils vont toucher un honnête pactole sur la vente de la maison de leur grand-mère , mais qu'aucun n'a proposé de venir passer quelques jours avec elle pendant les vacances de Noël , à ma connaissance ... Tante machin est si contente de passer les " fêtes" avec sa mère ... un petit coup de fil suffira , à Pâques , ou à la mi-carême ...Une seule des filles a fait une apparition , certes brève mais chaleureuse , accompagnée d'un mari poli et d'ados ... ados (Cette fille , c'est celle dont sa mère disait uniquement , pendant des années : " M. ... , elle est pas très fut fut .." ; j'espère que ce jugement , destiné à des personnes de l'extérieur , était là simplement pour compenser une trop vive tendresse , et que ma soeur attendait uniquement d'être contredite avec énergie . Mais je n'en sais , vraiment , absolument rien . En tout cas , ça donnait l'impression que la petitoune , actuellement infirmière , ce qui est un beau métier intelligent , était à la limite de la débilité mentale ).
Allez , je suis vraiment trop sévère , le gentil panier percé a proposé de faire trois cent kilométres pour venir manger avec elle le jour de Noël , et c'est moi-même , moi la râleuse , qui lui ai dit que c'était bête de commencer ainsi à entamer le chéque que maman et moi lui avions envoyé , une toute petite contribution pour tenter de pallier à ses denières difficultés financières . Ceci dit , j'aurais vraiment du encourager la grand-mère de tous ces délicieux neveux , huit en tout , à claquer tout son fric avec des gigolos ! d'ailleurs il est peut-être encore temps , comme dit , ou à peu près , sa dame de compagnie à la tante de Louis Jouvet dans Drôle de Drame : quatre-vingt-dix-sept ans , c'est pas tellement vieux !
Et puis finalement , malgré mon ronchonnage , comme une petite rivière souterraine qui continuerait à couler toute vive et glougloutante sur les cailloux , en dessous de la colère et de l'amertume j'ai ressenti la joie : ce premier de l'an j'ai fait la connaissance de l' infirmière qui vient faire la toilette de maman , énergique et délicate , précise et rigolote ; la peau claire de son épaule s'orne d'un splendide serpent tatoué , qui descend pour se perdre dans les profondeurs de son décolleté vertigineux . J'ai mitonné un gratin de courge délicieux ; j'ai , pour le repas , sorti la belle nappe brodée par ma grand-mère , les belles serviettes aussi , le beau service à café dont on ne se sert que pour les fêtes ... puis , comme , au point où j'en étais , autant valait faire ça qu'autre chose ... je me suis mise l'après-midi à faire des rangements dans le grand bureau - meuble antique et vénérable acheté par mes parents dans les années trente aussi : ils pouvaient y corriger leurs copies face à face ,et moi je pouvais , n'ayant pas de chambre à moi , trouver refuge dessous comme dans une petite niche quand personne ne l'occupait . Je suis tombée sur une vraie mine d'or : des photos en très petit format , prises par ma tante en 1925 , dont certaines photos de famille prises au Rocher de Dromon à Saint-Geniés , où était la ferme de mes cousins Daumas ; une autre de mon arrière grand-mère de Vaumeilh , celle qui vendait ses fromages de chévres au marché de Sisteron , que je n'avais jamais vue ,même en photo ; une enfin , de maman en train de donner le biberon à sa première fille : ma mère a vingt-cinq ans , elle tient dans ses bras sa fille aînée . je vois une jeune femme ravie et rieuse , heureuse comme je ne l'ai jamais connue , moi l'enfant née sur le tard ... presque jolie ma mère ... si c'est pas des super étrennes ça ! Envolé le côté ronchon ! Tout va bien ... j'ai retrouvé le Philippe pour un réveillon du 1er au soir , me suis trouvée soule comme une grive dés l'apéritif , après deux verres de crémant d'Arbois délicieux ; et je n'ai même pas mal à la tête ce matin... Tout va bien ! alors :
Très , très belle année à tout le monde !