Il y a trois ans , ou quatre , j'ai eu un coup de foudre pour ce merveilleux rosier d'un rouge sombre , qui embaume ... A présent , poussé de deux ou trois métres , et mélangeant ses belles fleurs cramoisies à celles , petites et nombreuses , des rosiers blancs , il s'appuie sur une structure en bois ; ce qui fait un petit passage très poétique - si poétique , qu' il me vient l'envie de créer toute une galerie couverte , en bas du jardin ... me voilà à faire des calculs : si je plante une série de rosiers cet automne , ils ne seront vraiment jolis que dans quatre ans ... j'ai bientôt soixante-deux ans , Philippe soixante-neuf ... est-ce qu'on habitera encore ici ? planter , ça n'est rien , j'adore ça , je manie avec plaisir et énergie la pioche et la fourche-bêche ; mais je me plains déjà que le jardin est trop grand ... C'est sur , même si mes rosiers sont en pleine santé et vigoureux grâce aux soins et à l'amour que je leur transmets , le jardin est plein d'herbes folles et de graminées , car le binage soigneux n'est pas mon fort ... je suis du genre à jardiner plusieurs heures par semaine , mais par à-coups ... Et puis , encore un désir , désir après désir après désir après désir - est-il judicieux de tenter de le réaliser , celui-là ? Enfin , j'ai encore plusieurs mois pour décider .
Tiens , je trouve mon portrait , ou le vôtre , ou celui de ma mère , à l'occasion de ma lecture du matin : c'est dans un livre sur Cankara ( je vous ai parlé de Cankara , ou Shankara , ou Shankaracharya , c'est le même , lors de ma visite à Kanchipuram ) :
Immergé dans l'eau de l'océan du monde comme une calebasse , sous le pesant fardeau de l'ignorance , du désir et de l'attachement aux fruits de l'action , ayant fait l'identification compléte avec le corps , cet être-là est tourmenté par des idées telles que :Je suis le fils et le petit-fils de tel et tel ; je suis maigre , je suis fort ; je posséde des qualités , je suis dépourvu de qualités ; je suis heureux , je suis misérable - et il pense qu'à part lui , rien d'autre n'existe. Ainsi il nait et meurt constamment , toujours escorté ou séparé de ses amis et connaissances . Son impuissance se traduit en mouvements d'humeurs et d'abattements tels que: Je ne suis bon à rien. Mon fils est perdu et ma femme est morte; de quelle utilité est cette vie ? Avec de pareilles préoccupations , il est toujours troublé de toutes sortes de maux causés par son ignorance . ( Mundaka upanishad , bhâshya III, 1 , 2.)
( Encore une idée qui m'aguiche - me mettre à apprendre le sanscrit ? ) ...Quand je vous dis que c'est notre portrait craché ... " le pesant fardeau de l'ignorance , du désir et de l'attachement aux fruits de l'action ... " si c'est pas génial , ça ... Allez , on retourne au jardin ...