Nous sommes allés jusqu'à la Montagne de Lure , pour revoir une cousine âgée que j'aime bien . Je me souviens que , lorsqu'elle passait nous voir , c'était un rayon de lumière dans la maussaderie , la tristesse ou les disputes qui faisaient frémir de peur l'enfant que j'étais : je sais maintenant que c'est parce qu'elle semblait aimer et apprécier infiniment chaque membre de ma famille - sans voir , ou sans vouloir voir , les diverses inimitiés - elle appréciait beaucoup , notamment , ma mère et ma tante . Quel bonheur je ressentais ! Quelle légèreté dans le cœur !
Ca a été , également , l'occasion d'une - trop brève ! - escapade dans ces paysages des Alpes de Haute-Provence ; si lumineux sous le soleil doux de la fin d'été . Lumineux , mais tellement sauvages … toutes ces falaises , ces pans de montagne pressés les uns contre les autres qui surgissent dans tous les sens - serrés , agités pendant des millions d'années comme par une houle en folie , séparés par des ravins schisteux ou des défilés étroits , des pans de talus rocheux qui s'effritent et montrent un panorama strié de couches géologiques .
Lors d'une de ces crises de généalogie qui me prennent de temps en temps , j'avais étendu mes recherches au hameau de Saint-Symphorien . Mon arrière-arrière-grand mère était née à Authon : Virginie Gassend . Elle s'y était mariée avec un journalier , un travailleur de la terre qui n'en possédait pas un lopin : Pierre Fouque , venu de Verdaches , encore un autre village , mais encore plus à l'Est , de l'autre côté de la montagne . Ils ont vécu ensuite à Saint-Geniez et à Chardavon ; quatre enfants sont venus au fil des ans . Le petit dernier , Joseph Germain , est mort à trois ans en 1850 . En 1856 , Pierre Fouque est mort aussi . Puis , l'aîné des garçons , Pierre , est mort un peu plus tard , à dix-neuf ou vingt ans . Il était parti à Marseille , m'a t'on dit , et est mort du choléra , en quarantaine . En tout cas , en 1856 , Virginie est restée veuve , avec ses deux filles - une de vingt ans et une de dix ; et sans ressource . Elle s'est louée comme " domestique " ( mais ça veut peut-être dire qu'elle travaillait dans les champs , également ) ; c'est ce qu'a fait également sa plus grande fille , Baptistine-Magdeleine . J'ai perdu la trace de la benjamine , Emilie , ma future arrière-grand-mère … je ne sais où elle est allée ( peut-être chez les Ursulines à Digne , qui recueillaient les orphelines pauvres ; car il reste de ses lettres , écrites à sa fille , et elle avait , non seulement une belle écriture , mais savait tourner une lettre ) entre ses dix ans et son mariage avec Hippolyte , le facteur , dont la tournée passait par Saint-Geniez . Un facteur qui , lui , savait lire - mais pas écrire … Eux se sont installés à Volonne , dans la large vallée ouverte de la Durance . Un ménage presque bourgeois , pour l'époque ! Attention , je n'ai pas dit " riche " . Mais , tout de même , un facteur … un salaire qui tombe régulièrement , à la fin de chaque mois … le Pérou !
Virginie , la maman , s'est remariée à cinquante ans après dix ans de veuvage ; encore avec un paysan , mais qui , au moins , était propriétaire de sa terre . Elle est venue sur la commune de Saint-Symphorien , un village tout en bas de la montagne . Saint-Geniez plane sur les hauteurs aériennes , niché sur son petit plateau , trois cent mètres de falaises plus haut ; pour atteindre Saint-Symphorien , on descend raide , dans des pierriers qui étaient autrefois des prés , par des sentiers muletiers qui dévalent presque à pic sur la vallée du Vançon . Ensuite , on traverse la rivière par le pont de la Reine Jeanne ; puis , on doit remonter de l'autre côté , sur un kilomètre à peu près , par une bonne piste bien large , une route autrefois fréquentée , munie d' un parapet encore solide aujourd'hui . La grande fille , Baptistine ( ton ancêtre , Denise ! ) s'est , elle aussi , mariée à Saint-Symphorien … mais est allée habiter Saint-Geniez ensuite .
J'ai donc voulu aller voir Saint-Symphorien .
Mais ce qui était un village d'une bonne centaine d'habitants en 1860 ( y compris les fermes dispersées alentour ) , avec une mairie , et surement une église ( quoique je n'en ai pas vu les restes , peut-être était-elle encore un peu plus haut ) est maintenant un hameau en ruine ; à l'exception d'une seule maison retapée , qui est , peut-être , habitée pendant les vacances . Je me suis d'ailleurs demandé d'où leur venait l'eau : je n'ai vu ni fontaine , ni puits . Et la rivière est à vingt minutes de marche , tout de même .
J'avais vu sur l'acte de mariage que le mari de Virginie était propriétaire d'une ferme située à Aco-de-Roche , sur l'adret en face ; finalement toute proche de Saint-Geniez . Alors que Saint-Symphorien est sur une crête de l'ubac - et beaucoup plus bas que Saint-Geniez . Entre les deux , serpente le Vançon , une petite rivière optimiste , qui coule toujours gaiement malgré les deux mois de sécheresse de cet été . Autrefois , il y avait tant de fermes dans ce paysage , un moulin , une tour … même des vignes sont indiquées sur le cadastre napoléonien . J'ai rêvé , comme s'il s'agissait d'un temps béni . J'oubliais la pauvreté , la dureté des existences à l'époque ( mais en allant sur le site des archives départementales , il y a quelques photos de ces paysans des Basses-Alpes ; les visages durs , concentrés , souvent déjà las , même pour les jeunes … ) . La nostalgie me guettait , d'avoir vu toutes ces ronces , ces murs éboulés , ces toits crevés , et la forêt qui a effacé toutes les traces de cultures . Puis , je me suis souvenue qu'au dix-neuvième siècle , toute cette forêt magnifique de maintenant ( pins et feuillus ) était absente . Les versants des montagnes était dénudés par un pacage intensif , siècle après siècle ; un article de la " Revue Forestière " nous apprend que Sisteron était inondée avant que des ingénieurs forestiers n'aient l'idée lumineuse de reforester - vers 1830 à peu près .
… http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/27532/RFF_1959_8-9_610.pdf?sequence=1
J'aime tellement la forêt … La nostalgie m'a quittée . Presque … Il parait qu 'il existe un roman de Pierre Magnan qui se passe dans ce coin . Pas un auteur que je chéris vraiment , je préférais Giono à son disciple . Mais , tout de même , je vais essayer de me le procurer , pour rêver aux beaux jours de Saint-Symphorien .
ça , c'est le " Pont de la Reine Jeanne" . Il y en a quelques dizaines en Provence , je le crains ...