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Chaque hiver où c'est dans nos possibilités , par temps de mistral , nous allons faire une grande sortie aux Baux . Pourquoi l'hiver ? c'est qu'il y a beaucoup moins de touristes ... Juste des gens de la région . Pourquoi par temps de mistral ? parce que pour moi , les Baux en hiver , c'est la quintessence du mistral . Par temps de mistral , de ce nid d'aigle , ce vaisseau de pierre qui fend triomphalement les vagues des oliviers et des vignes en contrebas , on jouit de la lumière de tout le paysage , rayonnant , éblouissant de lumière acérée - jusqu'à la mer étincelante au loin . Dans la roche même , sculptée et ajourée et découpée , le mistral s'est incarné , depuis des siècles et des siècles ...
Je connais les Baux depuis bientôt cinquante ans ; quand j'habitais Avignon , je prenais mon vélo et mes affaires de dessin pour aller y dessiner les falaises près des carrières , les rochers aux formes fantastiques et abruptes , la plaine avec les oliviers ... Bref , les Baux , c'est un sanctuaire , un pélerinage .
Oups ! j'ai balayé d'un léger revers de main la réticence de Philippe , qui adore cet endroit aussi ( un Dimanche , et le début des vacances de Noël ... tu ne crois pas qu'il va y avoir du monde ? ) et nous sommes partis . Faut dire , je veux acheter un santon , comme chaque année , donc je préfère y aller avant Noël ... Une petite balade d'abord , en bas , dans les olivettes , pour aérer Hermione après le long trajet ... Nous arrivons sur le site - il est midi . Euh ... je dois constater , bourrelée de remords ( ou presque ) , que mon cher et tendre avait raison : il y a , effectivement , du monde . Nous nous garons assez loin , Phil d'une humeur abominable - il déteste la foule , je le sais parfaitement - Hermione , gaie et gambadante , comme toujours ... Mais c'est vrai , que de monde ! et que de petits commerces plus ou moins artistiques , plus ou moins artisanaux , de plus en plus , chaque année ... je ne garantirais vraiment pas que les poteries soi-disant made in Provence sont faites sur place , pas plus que les savons , ni même la lavande ... Beaucoup de choses , il me semble , si elles ne sont pas venues par avion , ont fait quelques centaines de kilométres avant d'arriver ici . Des marchandises ... Par contre , les santons , eux , sont bien provençaux . Je prends mon temps pour choisir ; adopte une vieille avec son âne , et une brebis . Je suis , provisoirement , ruinée , bien sur . Mais , bon , un santon par an ... et puis , les restaus sont pleins , donc on économise le repas !
Je rentre , par curiosité , dans une galerie ; suis déçue par les oeuvres , agréablement colorées mais très commerciales ; puis me fait happer par le galériste qui m'annonce avec fierté que l'artiste a vendu cinquante oeuvres à sa dernière expo ( il doit vraiment s'ennuyer , le pauvre homme - il devrait lui être évident que moi , avec mon jean dont le bas commence à perdre son ourlet , mes chaussures de marche , mon pull troué , je ne vais pas lui acheter la moindre toile ... )
Puis , nous arrivons sur le plateau , en éperon au dessus de la Crau . Malheur ! Il est parsemé , jusqu'à la proue , d'aberrantes sculptures : de grandes plaques colorées , au moins deux mètres cinquante de haut , en ferraille ou en contreplaqué , je ne sais ... représentant des silhouettes de femmes aux seins agressifs - en train de danser , peut-être ? ou en tout cas , de se tortiller , sur fond de silhouettes de bananier ... C'est une exposition . De l'Art Contemporain . Je suis horrifiée ... L'Art Contemporain , avec les facilités techniques offertes maintenant aux sculpteurs , qu'ils travaillent à la tronçonneuse ou à la disqueuse , leur permet de faire grand ; et tant plus que leur ego est grand , tant plus que la sculpture est grande ... Ces sculptures sont plutôt gaies - mais saperlipopette , pourquoi les installer là , où elles gâchent la beauté du site ?
C'est tout simple : ce gars là , ( et/ou la mairie des Baux , je ne veux pas le savoir ... ) s'est servi des Baux comme faire-valoir pour ses sculptures .
Quelle horreur . Et quel gros ego ... C'est bien simple : je ne vais même pas retenir son nom . Ben , mince alors ! Imposer dans notre lieu de pélerinage cette esthétique de Mac Do .... sur le plateau , en plus ! où la roche est habituellement toute nue , simple et plate ... J'ai envie de hurler comme un loup , d'indignation !
Et puis , quelle différence avec l'humilité d'un Soulages , ( oui , je sais , on parle beaucoup de Soulage en ce moment ) qui a mis , dans ses merveilleux vitraux , son talent au service de Conques ...
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