... Quand j'y pense j' ai vécu quelques unes expériences d'Eveil , toutes très différentes les unes des autres ; aucune n'a duré très longtemps . Et est-ce que ça a changé ma vie ? ma foi , un peu mais rien de fracassant ; en tout cas c'était chaque fois comme si je prenais conscience de vivre dans une pièce très sombre ( la Princesse est enfermée dans une tour , bien sur ) et qu'une fenêtre s'ouvrait pour une fois , me permettant de voir un peu ma prison intérieure et le paysage extérieur . Au bout de quelques minutes , la fenêtre se refermait , et je me retrouvais dans mon état d'esprit habituel , ou à peu près ... L'une de ces fenêtres , je l'ai déjà raconté peut-être , ça s'est passé il y a une vingtaine d'années , en mangeant une prune . J'avais eu le cafard sans raison , toutes la matinée ; j'habitais alors à Aix , et je me souviens que tout en redescendant la rue qui mène de l'hôtel de ville au Cours Sextius , je me disais : d'accord , tu as un sacré cafard , accepte ça , ouvre toi à cette déprime pas possible , accepte ... puis , en rentrant à la maison , il y avait des prunes dans une assiette , et machinalement j'en avais saisi une et je la grignotais ; vint la pensée " ça n'est pas en compensant sur les prunes que tu vas échapper au cafard , c'est pas malin " ; puis , tout de suite , un état d'esprit incroyablement léger et heureux , comme si toutes difficultés éternellement aplanies , j'admettais que ce geste de manger une prune était un geste d'une totale perfection , que tout était parfait , mon geste , ma vie , La Vie , l'Univers , et tout ,et tout ...
J'ai du revenir un petit quart d'heure plus tard à mes montagnes russes habituelles , à mon fatras de pensées habituelles ... mais je me suis toujours souvenue de cette expérience . Qui n'est jamais revenue comme ça . Juste le souvenir un peu douloureux de la fenêtre ... Comme j'ai , maintenant , le souvenir de cet immense espace sombre et de cette légèreté de l'autre jour ... je continue à visiter l'intérieur de la tour , de pièce en pièce , d'escalier en corridor ... peut-être qu'un jour j'irai dehors ? pourtant , c'est sur , ma vie est moins pesante maintenant qu'il y a trente ans , qu'il y a vingt ans , et ça ne dépend pas des circonstances extérieures ... alors ...