Dimanche soir , j'ai appelé , de Nice , Philippe pour lui demander comment c'était la météo sur Florence ( je n'ai pas accès facile à un ordinateur depuis chez ma maman ) , s'il avait réservé l'hôtel , et tout , et tout ... las , quelle déception , il me dit qu'on ne peut pas partir ... même pas qu'il serait question d'un éventuel cyclône sur la Toscane , mais c'est cette conne de Noisette qui a attrapé un vilain abcès à l'oreille ... la voisine de droite est à l'hosto , celle d'en face a toujours son lumbago qui la handicape ( sans compter son mari qui ne se déplace qu'avec un déambulateur ) , le voisin de gauche est allergique aux chats , et donner un antibiotique matin et soir à cette minette fantasque et mordeuse c'est pas évident donc je ne me vois pas demander ce service à des copines qui habitent un peu loin ... Bref , pas de voyage ... aïe mes amis , quelle déception ... je n'arrivais pas à m'endormir ensuite , au profond de ma poitrine ça faisait comme ces cables téléphoniques qui ont du givre dessus , tout glacés tout rigides tout douloureux ... j'ai passé une éternité à simplement respirer avec cette émotion pénible , simplement à m'y immerger ...
Et puis c'est passé et j'ai dormi presque bien ensuite . Le lendemain , train train habituel , je me lève à six heures vingt-cinq , je défais les barres du lit de maman pour lui permettre d' aller aux toilettes ( parce qu'elle est tombée déjà une fois dans la nuit , il y a un an et demi : elle prend un somnifère , depuis des années , et si elle se lève toute seule au milieu de la nuit elle est un peu dans les vapes et donc il vaut mieux que quelqu'un surveille . Par contre le matin elle a l'esprit clair et peut se concentrer sur la marche et le déambulateur . C'est une personne très maitrisée , et donc l'obliger à se défaire du conditionnement à la propreté , acquis dans l'enfance , en mettant des couches toute la nuit , c'était pas un service à lui rendre ) ; je vais vite me doucher en haut en attendant l'infirmière qui fera les toilettes , ensuite je prépare le petit dej de maman ... après , je commence à vérifier les comptes en buvant mon thé ... etc , etc ... je n'ai plus pensé à ma déception jusqu'au soir ; il restait un sentiment latent d'avoir été flouée d'une récompense , comme quand j'étais petite ( je me décarcasse pour aider à Nice , et je n'ai pas le joli voyage que j'espérais... ouuuuuuuh ...) . J'étais si fatiguée que l'après-midi , parcourant l'avenue de la Victoire ( je sais , ça fait trente ans qu'elle s'appelle l'avenue Jean Médecin , mais pour moi elle restera éternellement l'Avenue de la Victoire ) pour trouver une pile de remplacement à ma montre , j'ai chu sur une feuille et le trottoir glissant . Pas de dégat , mes fesses sont moëlleuses ... mais j'avais vraiment envie de rester assise là , laissant les gens s'agiter tout autour . Je me suis reprise , grognassonne néammoins , parce qu'un aimable vieillard ( qui devait bien avoir l'âge de Philippe ) s'est approché pour m'aider à me relever ...!!!
Mardi , activités de la matinée , puis départ ... je suis toujours guillerette de partir , et triste de les laisser mes petites dames . Surtout qu'en général c'est à ce moment là que Tata Lili , qui régresse de plus en plus et a passé , pendant mon séjour , la plupart du temps où elle ne dort pas à essayer de jeter son verre ou à parler par interjections agressives , comme un petit de quatre ans qui est de mauvais poil , me dit quelque chose de gentil , de sensible , et que je fonds ...
Je traverse le Var avec cette lumière magnifique qu'il y a dans notre Midi en cette saison ; j'écoute King Arthur , encore et encore et toujours ( L'air de l'Hiver m'arrache des larmes chaque fois - let me freeze let me freeze let me free-ze again ... ) J'ai décidé de manger à Aix pour revoir une vieille amie ; tout en grignotant nos tartines , de l'une à l'autre et de l'autre à l'une passe un courant affectueux , au fil de notre bavardage et de nos silences , de ce qu'on dit , et de ce qu'on tait . Je reprends la route , la Camargue est belle , la musique baroque plus que belle - mais j'ai coupé de temps en temps pour écouter Rire et Chansons , ils passent trop de pub mais c'est quelquefois hilarant . Et puis j'aime bien les musiques qu'ils passent , aussi .
Passé Nîmes , j'arrive sur le plateau ; le paysage s'ouvre et me permet de respirer amplement , les Cévennes délimitent l'horizon au Nord , le mont Lozère est délicatement frangé de neige . Et - qu'est-ce qui me prend juste avant de retrouver mon village ? une sacrée crise de déprime , oh là là je n'ai pas envie de rentrer , dans quel univers étriqué je vis avec mon mec , j'en peux plus j'en peux plus ... je ne sais que faire . L'envie désespérée de vivre seule , d'avoir un coin à moi , même si ça n'est qu'un placard ...
Je finis par m'arrêter sur le bord de la petite route . La tête dans les mains , je me contente de respirer ma fatigue , juste une pause avant de rentrer ... si fatiguée ... voudrais tant être seule ...qu'est-ce que je fiche avec ce mec , gentil avec moi mais si complétement étranger à tout ce qui me préoccuppe de ma famille , et qui affiche allégrement son désintérêt . Que c'est fatigant . Je me dis que j'ai eu tellement l'habitude , dans mon enfance , de partager ma vie avec des personnes qui étaient étrangères à ce qui m'intéressait , que j'ai trouvé , dans ma vie de couple , le même type de personne .
La pause me permet de retrouver assez de confiance pour faire les quelques kilométres qui me séparent de cette maison partagée . Je trouve Philippe en train de passer l'aspirateur , c'est gentil car il sait que j'aime trouver une maison à peu près en ordre ; mais le bruit de l'aspirateur me fatigue , je suis épuisée et vais me lover , la tête sous la couette ; hé non , pas question de retrouvailles chaleureuses , je n'ai besoin que d'une solitude absolue .
Ce matin je suis de nouveau gaie et tonique , et j'ai l'impression que j'ai compris quelque chose . Arnaud Desjardins disait qu'on jouait tout le temps des personnages , on joue tout le temps des rôles dans la vie ( dans ce cas , il y a en jeu deux personnages " moi en tant que fille " , " moi en tant que compagne ". Mais le vrai centre de nous , le vrai moi , ça n'est aucun des personnages . Dès que j'habite avec quelqu'un , je me laisse reprendre au piège , je me confonds avec ce qui n'est qu'un rôle ... Bon , j'en suis là . Ne me demandez pas ce que c'est que ce centre ... je suppose qu'il ne se dit pas .
Vide ton esprit de toute pensée .
Laisse ton coeur être en paix;
Observe l'agitation des êtres ,
mais contemple leur retour.
Chaque être distinct dans l'univers
revient à la source commune.
Revenir à la source , c'est la sérénité.
Si tu ne prends pas conscience de la source ,
tu t'enfonces dans la confusion et la tristesse.
Quand tu comprends d'où tu viens ,
tu deviens naturellement tolérant ,
désintéressé , amusé,
bienveillant comme une grand-mère ,
digne comme un roi.
Immergé dans la merveille du Tao,
tu peux faire face à tout ce que la vie t'apporte,
et quand vient la mort , tu es prêt .
( je me suis offert une nouvelle édition du Tao Te King , la dernière fois que je suis passée à la librairie Sauramps d' Alès ; une petite merveille , chez Synchronique Editions , avec des reproductions de paysages chinois , je ne vous dit que ça , et 23 euros seulement ... ça valait le coup )
Et Florence , alors ? une autre fois , une autre fois j'espère... j'espère que je pourrai à nouveau jouer ce rôle de voyageuse émerveillée ... Belle , très belle journée à tout le monde !