Le Bhajan , c'est une cérémonie religieuse où l'on chante . A l'ashram , il y en avait plusieurs par jour. J'avais grand plaisir , chaque matin , à participer au rite des fleurs : Swami Muktananda , le supérieur de l'ashram , distribuait de petits bouquets de fleurs et de feuilles à la longue file des femmes , qui venaient ensuite les déposer sur trois stèles ; consacrées , respectivement , à Swami Ramdas , créateur de l'ashram , Mère Krishnabaï , et Swami Satchitananda , en charge de l'ashram après la mort de Swami Ramdas . Pour les indiens , ce geste de déposer le petit bouquet est accompagné de nombreux autres , témoignage de leur respect et de leur dévotion : on se prosterne contre les stèles , on touche les pieds du maître révéré sur la photo , on touche ensuite la zone de son propre coeur , sa tête .. certaines posent leur tête , longuement , sur le petit napperon au pied de la photo , même y enfouissent leur visage ( quelque chose que j'évitais tout particulièrement de faire à la fin de mon séjour , vu l'épidémie de rhume et de toux dans l'ashram ). Puis on nous versait dans la main droite une petite cuillère d'eau parfumée de feuilles de basilic sacré , le tulsi - j'aimais bien quand l'eau était donnée par un certain vieux monsieur , très attentif à ce que chaque personne ait sa petite feuille à mâcher ... ensuite , nombreuses autres prosternations et dévotions dans une petite chambre que j'ai supposé être celle de Swami Ramdas - je n'ai jamais pensé à demander - ; enfin l' on nous distribuait un petit bouquet , jasmin qui embaumait ou fleurs jaunes , à fixer dans nos cheveux ... . Chaque matin , je m'en sentais toute requinquée .
La cérémonie du soir me plaisait nettement moins , peut-être parce que tout au long de la journée j'étais déjà gavée du Ramnam perpétuel : j'ai déjà dit que dans ce lieu où l'on fait passer en premier la dévotion , tout un chacun pouvait y pousser son cantique . Certaines voix merveilleuses , mais je me souviens avec des frissons du Johnny Hallyday local , chantant en faisant trembler les murs le Ramnam à pleine poitrine , en fermant les yeux au top de l'extase dévotionnelle ... dés que je le voyais s'emparer de l'harmonium , je me sauvais - et tant pis pour la fin de la soirée . J'ai déjà parlé de cette chanteuse exquise , capable de dérouler à l'infini les volutes d'un chant très long dont je ne me lassais pas , mais qui laissait plutôt , hélas , chanter à sa place une petite fille d'une dizaine d'années, sa nièce ou son élève ; laquelle confondait , hélas , chanter fort et chanter bien ... Mais personne , sauf moi , ne semblait en être incommodé . Il y avait aussi ceux et celles qui commençaient un air , mais ne se souvenaient pas de la suite , ou des paroles , les voix incertaines qui déraillaient un peu - et , ma terreur , ceux ou celles qui voulaient chanter et chantaient , mais faux ... eh oui , même en Inde où, la plupart des personnes chantent facilement , il y a des gens qui chantent faux , qui ne ressentent aucunement la voie ou la voix juste ... . Mais qu'importe , la dévotion prime tout , pas question de faire passer exclusivement les gens qui chantent à peu près juste . Malheur ! Seigneur , dorénavant préservez moi des patronages ...
La journée se terminait , j'en avais marre , je trouvais à Swami Ramdas , sur la grande photo qui nous faisait face , de faux airs de Michel Blanc patelin ; l'expression de joie infinie sur le visage de Mère Krishnabaï , dont je venais de lire la biographie terrifiante , me rendant ainsi son expression de joie bien ambigüe , ressemblait pour un instant à celle de Rajounet quand il vient de croquer un rouge-queue ... Magie des instantanés et des photos pieuses !