Avant-hier ,  réveillée dans la nuit , je me demandais ce qui allait pouvoir aider ma voisine : elle a perdu son mari à Noël , après plus de soixante ans de vie commune . C'est une femme de quatre-vingt-six ans , pleine d'énergie et de vitalité en général . Lui ,  était handicapé depuis vingt-cinq ans , après un accident de vélo ; ce qui faisait à sa femme - femme au foyer - une vie trop remplie - mais remplie vingt-quatre heures sur vingt-quatre ...  la cuisine et les courses , mais aussi tous bricolages d'entretien , la paperasse en plus - ce qui m'a toujours étonné parce que son mari aurait été pleinement apte à le faire - ,  et surtout  , surtout ,  le jardinage , qu'elle adore  ... Ses fils , qui ont presque mon âge ,  vivent à Paris , viennent  peu ; mais attendent d'elle , visiblement , qu'elle redémarre au quart de tour , une fois la perte rapidement digérée  . Or , elle  va assez mal physiquement, depuis huit jours  . Je suis allée  , Dimanche , lui apporter un petit bouquet de dahlias et zinnias du jardin qui sont en pleine floraison ; suis restée un  moment avec elle . Elle dit des trucs comme " ma vie est fichue " ... ce qui   me parait absurde , mais est certainement plein de sens pour elle  . Un amour centré sur quelqu'un ,  c'est juste de l'amour qui n'a pas encore trouvé à se déployer autrement quand le quelqu'un disparait  ... Et il faut le temps .  Il y a trois ou quatre ans , avant la mort de son mari ,  elle avait pris un chat ,  qui s'est fait écraser par un chauffard sur notre route ; un crève-coeur aussi  .

           Pour faire plaisir à ses enfants qui redoutent de la savoir dépressive ,  pour se faire du bien aussi  , pour s'occuper ,  elle a changé les rideaux , les coussins , le dessus du canapé .. Mais  elle , qui me dit ne jamais faire de rêves ,  rêve qu'elle doit prendre un train et qu'elle n'y arrive pas ..  J'imagine que , son mari disparu , dont l'amour la soutenait  , elle se trouve livrée au conditionnement très destructeur et à la totale absence d'amour  de son enfance ( ce qu'elle dit de l'attitude de ses parents envers elle, gamine ,  est proprement terrifiant ) . Je ne sais pas trop si ça serait bien pour elle d'aller voir un psy , elle fonctionne plutôt normalement par ailleurs ; en tout cas je ne lui ai rien dit en ce sens .

         Il me parait évident qu'elle doit déjà accueillir la souffrance , sans en tirer des conclusions .. Comme elle fait du yoga , à titre de gymnastique plutôt qu'autre chose , je lui ai parlé , bien mal hélas , de mon propre chemin tout cahotant tout narcissique - de l'époque où entre leucémie , métier désastreux , compagnon absent ,  j'étais au fin fond du trou , et où j'ai trouvé un fil conducteur à l'ashram d'Arnaud Desjardins .  Mais je l'ai fait si maladroitement ...  Aussi , étais-je contente de trouver , la nuit dernière , une citation de Pema Chödron ( dans un petit livre qui s'appelle " Bien-être et incertitude " , édité à la Table Ronde ,  et que je n'avais jamais consulté que superficiellement ; Pema Chödron , est-il dit dans la préface , a suivi l'enseignement de Chögyam Trungpa . Tiens , ça aussi à relire ... ) . En tout cas , je vais lui proposer le bouquin à ma voisine , ça fera un complément aux lectures distractives qui sont seulement .. distractives ( je l'avais accompagnée à la bibliothéque la semaine dernière )

 "  On dit que quand les temps sont difficiles , seule la bodhicitta peut amener la guérison . Lorsque l'inspiration n'est plus au rendez-vous , lorsqu'on est prêt à tout laisser tomber , c'est le moment où l'on peut trouver de quoi revenir à la santé dans la tendresse de la douleur elle-même . La bodhicitta est aussi mise , jusqu'à un certain point , sur le même pied que la compassion , la capacité à ressentir la douleur qu'on partage avec ses semblables . Sanss 'en rendre compte , on passe son temps à bloquer cette douleur qui nous effraie. Parce qu'on craint par dessus tout d'être blessé , on dresse des murs de protection faits de stratégie , d'opinions ,de préjugés ou d'émotions . Pourtant , comme le bijou enfoui ssous terre pendant un million d'années n'est ni décoloré ni brisé , tous les moyens qu'on prend pour se protéger de la douleur ne peuvent affecter ce noble coeur . Le joyau peut être ramené au jour à totu moment , et il sera toujours aussi éclatant , comme si rien ne s'était passé .

      La bodhicitta , ou tendresse envers la vie , s'éveille lorsqu'on ne se protége plus de la vulnérabilité de son état , de la fragilité basique de l'existence ...  "

       Dans un autre chapitre , Pema Chödron parle d'une façon de méditer qu'elle appelle Tonglen ; que je trouve quasiment identique à celle dont je vous ai parlé quelquefois parce que je la trouve super efficace ,  une méthode de Rajneesh , consistant à inspirer la douleur à chaque inspiration , puis à relacher :

1.  Reposer son esprit quelques secondes en restant dans un état d'ouverture ou d'immobilité . C'est ce qu'on appelle " faire jaillir la bodhichitta ultime" ou s'ouvrir soudainement à la clarté et à l'espace fondamentaux du corps en éveil" .
2.  Travailler avec la texture . Inspirer un sentiment de chaleur , de noirceur et de lourdeur - une impression de claustrophobie - et expirer un sentiment de fraîcheur , de clarté et de lumière , quelque chose de léger . Il faut inspirer par tous les pores de sa peau et irradier vers l'extérieur totalement , par tous ses pores .  On répète l'exercice jusqu'à ce que la visualisation soit synchronisée avec l'inspiration et l'expiration .
3. On peut ensuite contempler toute situation pénible . par exemple , on peut inspirer son lourd sentiment de tristesse , avec sa noirceur , sa chaleur , et expirer un sentiment de joie , léger et frais , quelque chose de spacieux , ou tout ce qui peut procurer du soulagement .
4.  Elargir le cercle de la compassion en entrant en relation avec tous ceux et toutes celles qui éprouvent ce type de douleur , et faire le souhait d'aider tous ses semblables .

            Hum , je me rends compte que , personnellement , je ne pratique que les étapes 2 et 3 ( avec pas tout à fait la même visualisation , mais c'est le même principe : absorber , à chaque inspiration , la souffrance présente .  J'en ai parlé , au moins , dans un article de 2008  http://www.petites-peintures.com/article-18838085.html  ) . Je ne brille pas , vous le savez , par mon désir d'aider tous mes semblables - à part les 4 pattes qui font miaou ... . Je trouve que sinon , on se fait si vite bouffer - me faut du temps pour peindre et jardiner !  ...  . Belle journée à tous !