Mes photos sont assez banales , faut dire , mais que j'aime cette ville . Parce que l'élément liquide ,  jamais loin , équilibre constamment de son calme et de sa fluidité la verticalité et la folie des désirs humains ; parce que les maisons anciennes jouent au maximum de leurs possibilités de mouvement en faisant danser les verticales qui penchent . Ca c'est commun avec Venise , ou Bruges ; mais il y a deux différences de taille : d'abord en se balladant à Amsterdam on a toujours l'impression d'être accueilli , parce que les habitants ont essayé de faire le mieux qu'ils peuvent pour offrir du beau à la vue ; parce qu'il n'y a pas de volets aux fenêtres , parce que les rideaux sont ouverts ,  le regard peut se poser sur l'embrasure, où il y a un pot avec une orchidée , un pot de jonquilles ,  une sculpture ( sculpture qui doit couter bonbon dans certains quartiers , mais ailleurs c'est le type d'objet d'art que je trouve à la Foirfouille , et ailleurs encore la sculpture est vivante , une dame sculpturale et bien maquillée , mais dans ce cas c'est un peu particulier et je n'ai pas d'attrait , autre qu'un peu de curiosité ,  pour y poser le regard ) ; le soir ce même regard peut effleurer d'un coup d'aile un instant de repas de famille , ou des parents et des enfants jouant aux cartes ,ou encore  une jeune femme de dos qui joue du piano ... j'ai des amis originaires d'Amsterdam et peintres , peu conventionnels , et eux se plaignaient de cette obligation du " on peut tout voir " ; ils disent que si quelqu'un met des rideaux à son appartement , le voisinage se demande  " mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien faire d'horrible derrière ces rideaux ? " . Pour moi , qui ai été habituée à vivre sans intimité dès l'enfance , il me semble que ça ne péserait pas . Encore que ce qu'on peut fantasmer d'une situation , en étant dehors , n'a souvent rien à voir , vous le savez et je le sais . En tout cas ,dès qu'on passe la frontière Belge , tombe le couvre-feu : tous rideaux tirés , les yeux baissés et chacun pour soi chacun chez soi , mais c'est assez sinistre pour les promeneurs .







 Ensuite , deuxième différence et elle est de taille , Venise est une ville refuge , une ville nid d'où certes tous oiseaux fatigués peuvent prendre leur essor ,  ville rêvée , rêveuse , merveilleuse , ville passée ; Amsterdam  est vivante , vivante , vivante , ses habitants espèrent encore un 21 e siècle plus rigolo , moins figé dans ses rôles masculin-féminin , moins pollué que ce que l'évolution historique laissait présager ... ( attention , vous risquez de vous faire écraser par un vélo ) ... dès qu'ils ont vingt centimètres carrés sur le trottoir entre deux pavés , les Amsterdamais y font pousser un dahlia , une rose trémière , une tomate ( les pieds de marihuana sont  pudiquement protégés des regards ) . A Amsterdam  les jardineurs jardineuses , les vélocipédistes ; à Venise , on s'occuppe d'élégance  .





et voilà , d'en parler la ville me manque déjà , alors pour me consoler je récite la chanson des noms des canaux à partir du centre : Singel , Herengracht , Kaysergracht , Prinzengracht ... ( ils prononcent ça en mouillant énormément le cht , comme un sss sifflé chuinté , moi je ne chssssais pas le dire )


 

On a  passé six jours délicieux dans ce tout petit appartement très aérien , pas  loin du centre d'Amsterdam ; il y avait deux pièces si bien que , lorsque ça m'impatientait trop d'entendre Phil ronfler , je pouvais me réfugier sur le canapé du salon-salle à manger-cuisine et bouquiner Proust en sirotant tasse après tasse d'Earl Grey ...aussi une terrasse , mais sans parapet , et puis de toutes façons c'était pas un temps à prendre le soleil sur la terrasse . J'y ai vu un chat roux et blanc qui faisait le tour du pâté d'immeubles par les toits , des pigeons , et une espèce de geai qui est venu cacher un gros morceau de pain dans le pot de bambous nains qu'on aperçoit , en bas à gauche de la photo .




 Pour aller dans le centre on pouvait marcher ,



 ou prendre un tramway ; la musique des tramways amsterdamois est fabuleuse , ça miaule , gémit , grinçouille , ronronne , il y a des glissandos de l'aigu au grave , du grave à l'aigu , des comptines , un refrain toujours le même quand on quitte l'arrêt , un autre toujours le même quand il ralentit , et des sons de contrebasse jazzy entre deux . 
          On a pu aller deux fois au Rijksmuseum , quelle merveille  ... bien qu'une partie en soit fermée en ce moment . C'est fou , depuis trente cinq ans que je vais dans les musées et que je passe par des admirations successives ,chaque fois je découvre et j'approfondis la compréhension , et l'admiration , pour les artistes  du passé  ( cette pauvre Françoise est de plus en plus réactionnaire au niveau artistique ) . Bon , je suis toujours pas accro de Rembrandt , attention je ne dis pas que c'est un mauvais peintre ! mais il ne m'intéresse qu'à moitié . Et en particulier :  je trouve que la  Ronde de Nuit , c'est très surfait . C'est un très grand tableau , aussi grand que le mur presque , et il a été placé juste en face d'un autre très grand tableau , qui le précède d'un demi-siècle environ : la Compagnie du capitaine Dirk Jacobsz Rosencranz , de Cornelis Ketel .  La Ronde est de 1642 , l'autre tableau de 1588 - à peu près , des tableaux aussi immenses , ça ne se faisait pas en un jour ni en une année ...- chacun représente une des milices dont faisaient partie à l'époque les bourgeois d'Amsterdam . Dans la Ronde , tous les personnages sont " en situation" , et à mon avis c'est le début du commencement de la fin . C'est un genre de représentation théâtrale , tous se sont mis dans la position pour la photo , on fait semblant d'être en action et c'est ennuyeux comme la pluie , et Rembrandt a fait semblant d'y croire , le fayot ! je me demande bien pourquoi c'est si célèbre ... l'autre tableau aussi c'est des gens qui font semblant , des braves bourgeois déguisés en militaires , mais c'est plutôt une galerie de portraits , tous sont alignés face à l'objectif , l'un  a une fort belle tête de  boucher charcutier posée au dessus de sa  merveilleuse tunique de soie claire , on s'attendrait à ce qu'il vous dise et avec la tranche de pâté en croute  je vous mets quoi madame ,  il porte son tromblon d'un air martial , l'autre fait le fier avec son étendard , un troisième bombe le torse  , personne n'y croit et c'est génial , on sent bien qu'ils devaient être plus à l'aise dans les banquets du Samedi soir ou  les apéritifs de fin de patrouille ou de début de patrouille ( mais les femmes y étaient interdites dans ces banquets , c'est spécifié  ) . Hélas ! photos interdites dans le musée , et où puis-je trouver les reproductions pour vous montrer cette splendeur ? ah c'est tout con , il suffit que vous fassiez : " Cornelis Ketel Online" sur Google ,vous accédez à un site super bien fichu  www.artcyclopedia.com/artist , ça permet de voir le tableau à la loupe ... mais ça ne restitue pas ses belles couleurs fraîches , fraîches comme les joues roses du garçon boucher . Enfin allez  voir sur ce site , ou allez à Amsterdam c'est encore mieux , quand on se pointe vers midi et demi il y a un tout petit peu moins de monde , mais c'est sur il faut se frayer un chemin ,  surtout devant les Rembrandt ... ils sont sur les programmes japonais de l'Europe en trois jours , probablement . Par contre , Cornelis Ketel n'est pas encore à la mode , faut en profiter ! il n'y a personne devant ...

Commençons par la fin c'est le plus pratique , je vais parler de Mondrian ... ça n'était pas un peintre qui m'attirait particulièrement autrefois ( tellement géométrique , tellement minimaliste ), et puis lors de notre première visite au Gemeentemuseum de la Haye , il y a quelques années  (oui je sais  un nom à coucher dehors , je crois que ça veut dire musée municipal ) j'ai été étonnée par une grande aquarelle délicate , représentant un lis ; je regarde le nom du peintre : Mondrian ... ça c'était surprenant , alors j'ai un peu mieux regardé ses tableaux , un peu lu sur sa vie  ; il est venu très progressivement à ces carrés rectangles bandes de couleurs primaires rouge , bleu , jaune , noir sur fond blanc , qui sont le plus connus ; il a commencé par peindre des paysages avec un joli coup de pinceau ,un arbre , des bateaux ,  un moulin à vent -  un sujet qui l'inspirait , honnis soient toutes les personnes et  j'en suis ,  qui pensent à un symbole phallique en voyant ce moulin -  un petit passage de jeunesse par la peinture symboliste aussi ... et puis , inspiré par les cubistes il s'est mis à décortiquer ses sujets , à dépiauter la réalité visible en lignes , petites zones  de couleurs plates ,  ... il a vécu à Paris quelques années , est revenu en Hollande , reparti à Paris , s'est barré aux Etats -Unis quand c'est devenu nécessaire , juste avant la guerre je crois , est mort le 1er Février 1944 ; comme hobby il avait : la danse de salon ! ( j'étais ravie de savoir ça ). Bon , et il y en a quelques uns à La Haye . 

La Haye c'est pas trop beau , mais :
                                                 il y a  trois musées particulièrement délicieux .
 
     D'abord  le Maurithuis , le plus connu , où il y a les Ver Meer ( La jeune fille à la perle -  moi j'ai détesté le roman de Tracy Chevallier parce que je m'étais déjà approprié cette jeune fille depuis des années , alors je n'avais pas du tout envie que quelqu'un d'autre lui invente son histoire -  et puis cette extraordinaire Vue de Delft avec le fameux " petit pan de mur jaune " le dernier tableau que Bergotte ait vu avant de mourir , toute lumineuse , toute calme , tellement équilibrée entre la fluidité du ciel et de l'eau et les architectures paisibles de la petite ville ) , plus quelques Rembrandt jolis jolis , plus des Avercamp dont je vous reparlerai ... 
  il y a aussi : un musée Escher , j'aime bien Escher , mais ce coup ci on n'est pas retournés le voir , deux musées dans la journée ça me papillote devant les yeux ensuite 
  venons-en au  Gemeentemuseum : c'est un peu en dehors du centre , dans un parc ; une architecture que j'adore , un musée immense , merveilleusement labyrinthique , construit dans les années trente : carrelages aux murs vert Véronèse , noir ou jaune , grands escaliers structurés en verticales et horizontales , portes à grandes vitres qui s'ouvrent  toujours dans le sens où on ne les attend pas , couloirs qui mènent partout sauf là où on voudrait aller , un petit côté Alice de l'autre côté du miroir ... il n'y a pas de collections sensationnelles , il y avait une expo sur une collection avec quelques impressionnistes , pas mal , une autre , contemporaine , que du sexe lugubre et déprimant , et puis  :  quelques Mondrian . Presque tous étaient partis promener ailleurs , exceptionnellement .Mais tout au fond du fond déroutant du musée , j'ai trouvé celui-ci , un des derniers qu'il a fait , ou le dernier , ça s'appelle Victory Boogie-woogie , ( je crois que j'ai transgressé en prenant la photo , d'ailleurs ) 
Pourquoi ça me fait du bien à regarder ? eh ben c'est comme Avercamp , il montre des éléments tellement disparates , rassemblés dans un tableau avec amour ; alors j'y trouve un portrait de tous les élements disparates à l'intérieur de  moi , rassemblés en une seule structure avec amour ; si c'est pas de la thérapie ça !

Oui , je le vois bien que c'est flou ,mais j'avais peur que le gardien arrive ... 
C'est tout pour aujourd'hui , demain je vous parlerai d'Avercamp , peut-être . Ou des haricots du potager ! portez vous bien ,prenez soin de vous ...

  et voilà , onze heures du soir et on est rentrés , le séjour à Amsterdam m'a remise sur mes pattes ... demain je vous raconterai ,  qu'est-ce qu'on a vu comme jolis tableaux ... pendant ce temps à Nice  maman a été fourrée d'autorité à sa sortie d'hopital par mes soeurs dans une maison de retraite , en " convalescence" , je n'arrive pas à savoir vraiment comment elle va , trop de sons de cloches différents ; j'ai échangé avec chacune de mes soeurs d'abominables coups de téléphone , agrémentés par le fait que je n'ai pu recharger mon portable malgré tous mes efforts ; les voilà  rassurées de savoir maman provisoirement casée dans un chouette clapier , ça fait onze ans qu'elles en rêvent ( il faut reconnaître que , de toutes façons , chercher une  solution pour maman et tata , c'est pas de la tarte , et il n'y en a sûrement aucune de bonne ) ; j'irai la voir Mercredi prochain , je me rendrai compte ; peut-être est elle effectivement si fatiguée qu'elle préfère ça pour le moment ? .. en tout cas ça m'a fait un bien fou de couper les ponts pour quelques jours ... on a retrouvés les chats en pleine forme , gras et le poil luisant , Noisette est actuellement roulée en boule dans la chambre du bas et fait semblant de dormir , Rajah , après quelques effusions ( " papa , maman , vous nous aviez laissés seuls et misérables  sans personne pour nous câliner " ,etc ... ) est reparti allégrement ( " bon , ben , j'ai pas que ça à faire de ronronner dans vos bras moi ! " )  pour un jogging au clair de lune ( je dis ça  pour rigoler , je ne sais même pas comment est la lune ce soir )  Anaïs est encore chez les voisins , on est rentrés trop tard pour la récupérer , je ferai ça demain matin . Pour une fois , et sachant qu'on va repartir dans trois jours pour Nice chic chic chic , je suis vraiment contente de retrouver la maison , j'ai très envie de recommencer à jardiner ...

( je ne trouvais pas de titre pour ce chapitre , je me suis souvenue de la pub des barres Mars , je  l'avais vue au cinéma   longtemps avant d'y avoir goûté , est-ce que vous vous souvenez , trois alpinistes de dessin animé  piochaient dans une espèce de falaise avec des strates de couleurs différentes ...vous vous souvenez ? )

         Le cours de yoga du Mardi matin a recommencé , quel bonheur ... une expression de Nathalie m'a fait ouvrir une porte intérieure , elle a parlé de ce tout début de journée où on est encore un peu dans la douceur , dans l'ouverture ( elle a employé aussi le mot " fraîcheur" , pour décrire cet état d'esprit , mais ça me convenait moins ) Parce que ce mot de " douceur" ,  qui m'est assez étranger  ( sauf  bien entendu quand je suis en relation avec un chat ), m'a ramenée  poignante  une image d'enfance , celle d'une  lampe de chevet à l'abat-jour rose ; la base en était une sphère de faïence brillante , mi-partie  rose et noir , coupée en diagonale ; et je me souviens encore de la douceur de sa lumière , allumée le matin avant que la frénésie cinglée de la journée ne débute . Je suis rentrée à la grande école à cinq ans , rentrée dans le stress terrible du train  familial ,  et j'ai dormi jusqu'à sept ans , au moins , dans la chambre de mes parents - je pense que maman voulait me garder dans la position du bébé de la famille le plus longtemps possible , peut-être c'était sa façon à elle de chercher de la douceur , la pauvre - ( N.B. je n'ai aucun souvenir que mes père et mère aient oncquement  mené une java démentielle ; par contre je suppose que c'est de cette cohabitation nocturne que provient la longue absence de toute curiosité chez moi , on dit pourtant que la curiosité est une caractéristique commune à toute les petites filles . Ceci dit , je ne me considérais pas comme une petite fille . Un machin ,oui . Ni garçon ni fille . Placide . Mais peut-être  paisible ?  Ou contemplatif ?)
   Mais je digresse , alors que je voulais parler de cette impression de douceur sous la lumière rose , cette façon ouverte et sereine d'aborder l'existence au lever du jour , loin de l' hystérie coléreuse où me jettent ma propre exigence  d'une  journée efficace ,cette folie dans laquelle je chois si fréquemment , si facilement . Est-ce que je veux en parler , de cette douceur ? pas forcément , mais je voudrais bien la prolonger ...l'image m'a accompagnée tout le long du cours de yoga . ( mais je ne peux , je ne veux pas m'y accrocher ! l'évoquer , oui , tout doucement  )