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Hier , c'était ma fête , en principe . Je m'étais programmé , à l'avance , une matinée paresseuse , à mon rythme - yoga tranquille , chant tranquille , petit dej tranquille ; ensuite , je projetais d'aller brièvement rendre visite à deux minettes esseulées dans une maison amie - un plaisir ! - puis , d'aller à la librairie d'Alès m'offrir un bouquin dont j'ai entendu parler sur France Inter - j'ai écouté la radio dans la voiture en allant à Avignon l'autre jour , il y avait des femmes intéressantes , à l'occasion de journées féministes . Or , voilà que Philippe , alors que je suis encore en pyjama en train de peaufiner l'aquarelle commencée quelques jours auparavant , m'annonce gaiement , vers les sept heures et demie , que K . viendra faire le ménage le matin même ; et qu'il a oublié de me le dire ( la maison est très grande ; et quand j'ai jardiné deux ou trois heures je n'ai plus ni l'énergie ni l'envie de faire le ménage ; donc , une fois par semaine , la gentille et compétente Karen passe , et je retrouve tout impeccable , sans avoir levé le petit doigt . ) Philippe le fait aussi , le ménage , d'ailleurs ; et mieux que moi , qui passe la serpillère en bas à toute vitesse , vite fait mal fait , et ne m'occupe jamais de savoir si les vitres sont sales ou propres ...
Zut alors , mon programme tranquille est gâché ! Mon humeur se met à l'orageux , à toute berzingue - je cavale pour ranger la pagaille que j'avais laissée traîner un peu partout .. yoga , pas le temps de chanter , douche , terminer le repassage qui est au milieu ... j'avale un verre de café froid à toute vitesse , sans prendre le temps de petit-déjeuner , ce qui n'améliore jamais mon humeur - et à neuf heures , me voilà propre , habillée , prête à partir - et la maison prête à être nettoyée de fond en comble . Du coup , je n'ai pas fait de café , et je ne lui en offre même pas un , à Karen . Ouh que je suis de mauvaise humeur !
Je pars voir les deux minettes ; l'une a un grand rectangle de poils sur le dos qui est rasé - Philippe , qui est allé les voir hier , ne m'en a pas parlé , et je m'inquiète - s'est-elle râpé le dos toute seule ? Que s'est-il passé ? Troublée , je repars , je dois faire un plein d'essence ; et me rend alors compte que j'ai oublié mon sac dans la maison amie . Ni papiers , ni argent , ni chéquier ... l'employé de la pompe à essence est vraiment sympa , il prend la luxueuse boîte de mes lunettes de soleil en otage ( ? elles étaient en solde , et le prix ne correspond vraiment pas au prix d'un plein ... ) et je retourne chercher mon sac . Je reviens à la pompe , puis règle ma dette à un autre employé en me confondant en remerciements . Comme ça n'est pas le même employé , je ne laisse pas de pourboire - et m'en fais grand reproche deux minutes après .
Arrivée en ville ... je marche vite , et manque rentrer dans un touriste , qui zigzague en mâchant un pain au chocolat - lui , sa femme , qui mâche aussi une viennoiserie , et la voiture du petit enfant , mâchotant suçotant brandissant un truc poisseux lui aussi , que la femme pousse , occupent toute la largeur du très large trottoir ; je voudrais bien passer mais ça n'est pas possible . Ensuite , le gars marche normalement ; sur les quelques mètres qui nous séparent de la librairie , je marche du même pas que la voiture de bébé , poussée gaillardement par la mâcheuse .
Je rentre dans la librairie - je vois que tous trois s'apprêtent à entrer . Mâchant toujours ... ils pénètrent à l'intérieur , toujours munis de leurs viennoiseries ... Et là , mon inconscient prend illico presto les commandes : la vieille rombière acariâtre que je suis les apostrophe sans ménagement : " Mais vous allez rentrer dans la librairie en mangeant ? " Ils pilent sur place , interloqués ; la dame me dit qu'elle a fini ( faux , il lui reste encore une moitié de croissant grosse comme mon poing . Les pâtisseries cévenoles sont solides , en général , et je voudrais bien voir comment elle peut avaler tout ça d'un coup , sans s'étrangler ) . Je continue mon chemin sans me retourner , pour aller chercher le livre qui m'intéresse ; je me sens fort gênée de moi-même et de mon impolitesse *... Mais , rien que de penser aux doigts gras et poisseux sur les bouquins , ça m'avait horrifiée ...
Et , le soir , voilà que mon amie l'angoissée de toujours appelle , d'une voix chancelante , pour me souhaiter Bonne Fête . C'est gentil ! Elle me parle d'une Sainte Françoise qu'elle apprécie particulièrement , Sainte Françoise romaine . Ouh là ! J'ai cherché sa vie sur Wikipédia : c'est tout à fait moi , ça - une sainte femme ... C'est là la difficulté avec certains chrétiens ** , on dirait qu'ils z'ont pas droit à une vie à peu près normale ( en particulier , je crois bien , cette amie ) . T'es dans l'obligation d'être une sainte , ou rien ...
* je veux dire que si j'avais un peu réfléchi , j'aurais dit , bien sur , la même chose , mais en m'excusant préalablement de mon intervention , en prenant des gants : " Excusez-moi , mais , avez vous réellement l'intention de rentrer dans la librairie ... " ....
** Bon , je dis ça maintenant sur le moment , parce que je m'imagine la façon dont mon amie considère cette dame , et que ça m’agace un tantinet , tant je sens l'idéal de sainteté avec l'auréole en supplément gratuit - qui scintille désagréablement par derrière . Mais , si je vois cette Françoise la romaine , maintenant , autrement , avec mes propres yeux , en l'imaginant comme un genre de Frère Cadfaël laïque , son genre de vie me conviendrait parfaitement !